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éclatant. Allemagne du nord et Allemagne du sud sont des démarcations qui subsistent encore, qui peuvent subsister quelques années, si l’on veut, mais qui peuvent aussi disparaître en un instant par l’accord des divers états, et l’on voit déjà à quel point le grand-duché de Bade y est disposé. Il s’agit de savoir ce qu’on veut faire en présence de ce mouvement. Si par exemple la France croit de son intérêt et de son droit de ne pas souffrir que l’unité allemande aille plus loin et que la ligne du Mein disparaisse, elle a eu raison de s’armer et, en parlant toujours de la paix, de prévoir la guerre, parce qu’il est bien clair que l’Allemagne ne s’arrêtera pas, et au besoin elle pourra invoquer cet article du traité de Prague qu’on lui oppose sans cesse : « Le lien national qui pourra réunir les états situés au-delà du Mein avec la confédération de l’Allemagne du nord demeure réservé à une entente ultérieure des deux parties. » La vérité est qu’on se débat au milieu de toutes les impossibilités qu’on a laissé accumuler, et dans cette situation progressivement aggravée la pire des politiques serait assurément une politique d’à peu près et d’illusions, de réticences et de velléités intermittentes.

La plus dangereuse des chimères serait sans nul doute celle-ci. On peut faire des hypothèses ; M. Schneider, comme président du corps législatif, a prétendu un jour qu’elles étaient permises. Faisons donc notre hypothèse. On se sera dit peut-être que bien des fautes avaient été commises dans ces affaires d’Allemagne, que la France n’était pas très sûre d’avoir voulu tout ce qu’elle avait permis, qu’il en résultait pour elle, sinon un affaiblissement réel de puissance, du moins une diminution de prestige, et que tous les mécomptes de la politique extérieure réagissaient d’une façon sensible, douloureuse, sur la politique intérieure. Comment réparer ces mécomptes ? On ne pouvait, par une évolution subite, se retourner contre tout ce qu’on avait eu l’air de favoriser, on le pouvait d’autant moins qu’on n’avait pas une force militaire suffisante. Il n’y avait qu’un moyen, gagner du temps, refaire la puissance militaire de la France, et se présenter dans cette attitude nouvelle devant l’Europe, laisser pressentir la limite de la modération sans se compromettre, avancer pas à pas en faisant acte d’ascendant au besoin, bien montrer qu’on était prêt à tout. Alors de deux choses l’une : ou la Prusse se tenait tranquille, ajournant ses dernières ambitions, et on avait reconquis un certain prestige sans que la paix fût troublée, ou bien la Prusse, se croyant menacée, se laissait emporter, et on était prêt à faire la guerre sans l’avoir provoquée. Si c’était là un système préconçu, qu’on nous permette de le dire, il serait presque candide, puisqu’il supposerait une Prusse assez aveugle pour ne pas voir que sa plus grande habileté dans un pareil cas serait de se tenir immobile, de se dérober en quelque sorte, et de se réfugier dans la tranquille possession de ce qu’elle a conquis. Qu’en résulterait-il pour nous ? La gloire douteuse d’une démon-