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des camps les plus opposés. C’est une coalition, disent avec colère les amis du gouvernement, et il est bien certain qu’à un point de vue supérieur les coalitions ont toujours par elles-mêmes un caractère équivoque. Par leur nature, elles sont moins une combinaison politique permanente qu’un expédient, un moyen de guerre, et c’est ce qui fait qu’elles ne sont admissibles qu’en certaines circonstances exceptionnelles ; mais c’est là précisément aussi ce qui les rend irrésistibles, parce qu’elles sont le résultat d’une nécessité, parce qu’elles sont imposées par toute une situation, et ici c’est le gouvernement lui-même qui justifie cette combinaison formée sous le nom d’union libérale. Il la justifie doublement, par ses candidatures officielles et par son système de circonscriptions électorales.

Qu’on y songe bien, c’est là la seule raison d’être d’une coalition comme celle qui est à l’œuvre aujourd’hui. Lorsque le gouvernement, au lieu de laisser le pays choisir en liberté ses représentans, se jette tout entier dans un camp avec ses moyens d’action, ses employés, ses ressources, son influence, quel autre moyen reste-t-il aux partis indépendans que de se réunir pour rétablir un certain équilibre et soutenir la lutte dans des conditions un peu moins inégales ? Les opinions sont obligées sans doute à des sacrifices mutuels ; mais elles sont liées par un intérêt commun, l’intérêt de l’indépendance dans les élections, et en mettant sur leur drapeau ce qui les rapproche, elles se taisent sur ce qui les divise. Cette coalition ne serait pas même possible ou elle n’apparaîtrait plus que dans ce qu’elle peut avoir d’équivoque, s’il n’y avait pas de candidat officiel, si en face des partis libéraux il n’y avait qu’un candidat du parti conservateur, agissant spontanément sous sa responsabilité et dans des conditions d’égalité, choisissant lui-même son représentant, et le soutenant par ses moyens propres, par sa propre force. L’administration, par ses procédés, n’aboutit ainsi qu’à atténuer dans une certaine mesure le caractère d’indépendance chez le candidat qu’elle patronne et à légitimer les combinaisons auxquelles ses adversaires peuvent avoir recours pour le combattre ; mais c’est encore plus peut-être par le système des circonscriptions électorales que le gouvernement justifie l’alliance des opinions indépendantes. Autrefois l’arrondissement électoral, tel qu’il était organisé, supposait du moins entre les électeurs des rapports habituels, des relations possibles, des intérêts communs. Aujourd’hui c’est une combinaison purement numérique et tout artificielle. Dans une même circonscription se trouvent des cantons appartenant à des arrondissemens différens, des villes rivales, des populations éparses qui ne se connaissent même pas, parce qu’elles sont séparées quelquefois par des distances de 50 kilomètres et plus. Seul le gouvernement est partout, agissant sur tous les points à la fois, parlant à chacun un langage différent, se portant médiateur entre les intérêts rivaux. Il en résulte que les partis n’ont qu’un moyen de contre-balancer cette énorme puissance, d’atténuer les inconvénient du système : c’est