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foyer domestique, dans l’atrium. L’atrium n’était point, comme le gynécée, un appartement reculé, un étage supérieur de la maison, retraite cachée et inaccessible. C’était le centre même de l’habitation romaine, la salle commune où se réunissait la famille, où étaient reçus les amis et les étrangers ; c’est là, près du foyer, que s’élevait l’autel des dieux lares, et autour de ce sanctuaire était réuni tout ce que la famille avait de précieux ou de sacré, le lit nuptial, les images des ancêtres, les toiles et les fuseaux de la mère de famille, le coffre où étaient serrés les registres domestiques et l’argent de la maison… Dès le moment où la nouvelle épouse avait mis le pied dans l’atrium de son mari, elle était associée à tous ses droits. C’est ce qu’exprimait une antique formule : à l’instant de franchir le seuil de sa nouvelle demeure, la mariée adressait à l’époux ces paroles sacramentelles : « ubi tu Caïus, ibi ego Gaïa, — là où toi tu es le maître, moi, je vais être maîtresse. » La femme devenait maîtresse en effet de tout ce dont le mari était maître. Chacun dans la maison l’appelait domina, le mari lui-même, et Caton l’ancien ne faisait qu’exagérer une observation judicieuse lorsqu’il s’écriait plaisamment : « Partout les hommes gouvernent les femmes, et nous qui gouvernons tous les hommes, ce sont nos femmes qui nous gouvernent. »

La loi romaine changea dans la suite et se mit d’accord avec la réalité. A mon grand regret, je ne puis suivre M. Gide dans l’histoire qu’il trace de ces changemens. Il fait voir avec un grand intérêt comment toutes les institutions républicaines contraires aux femmes et qui les gênaient dans la disposition de leur personne ou de leurs biens disparurent sous l’empire. Elles se brisèrent en se heurtant les unes contre les autres, la puissance du père contre l’autorité du mari, la tutelle contre la manus ; mais, par une contradiction étrange, en même temps que l’adoucissement des mœurs publiques, l’influence de ces jurisconsultes philosophes, que M. Gide appelle les derniers amis de la liberté, rendaient la loi plus humaine et plus juste, on est fort surpris de voir que le pouvoir ne semble occupé qu’à créer contre les femmes de nouvelles entraves à la place de celles que le temps ou la raison emporte. Les empereurs qui, pour céder à l’entraînement général, par sagesse ou par politique, paraissent le plus empressés à les émanciper, Auguste, Claude, etc., sont aussi ceux qui cherchent quelques moyens de les ramener sous le joug. M. Gide rend très bien compte de cette contradiction. Elle s’explique par l’effroi que causait au prince et au sénat la corruption des mœurs. Très relâchés de conduite, ils étaient sévères par principe et par nécessité. Dans cet affaiblissement général dont ils étaient les témoins et souvent la cause, ils sentirent le besoin de protéger au moins la famille, sur laquelle tout le reste s’appuie. Après avoir rendu à la femme la liberté, ils étaient effrayés de voir qu’elle en usât si mal, et se trouvaient tentés de la restreindre. De là toutes ces lois rigoureuses, et parmi elles ce sénatus-consulte Velléien, qui a survécu à l’empire et qui s’est maintenu jusqu’à nos jours chez quelques peuples de l’Europe. On sait combien les lois furent impuissantes. « Chaque effort du législateur, dit M. Gide, pour contenir la débauche produisait des raffinemens de débauche nouveaux. » Il ne faut pourtant pas exagérer. Gardons-nous de trop écouter les