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moralistes, qui sont sévères par métier, et les satiriques, qui le sont par tempérament ; ne croyons pas que la sixième satire de Juvénal représente l’état de la famille romaine sous l’empire. Quoi qu’on pense de la corruption qui y avait pénétré, on ne doit pas oublier que les jurisconsultes romains avaient donné une admirable définition du mariage. « C’était, disaient-ils, l’union de deux vies, la mise en commun de tous les intérêts temporels et religieux, » et cette société fut en somme celle qui, jusqu’au christianisme, réalisa le mieux cette belle définition.

Un autre jeune jurisconsulte, M. Edmond Labatut, qui vient de publier ses premiers essais, s’est aussi occupé des antiquités romaines. Il appartient à l’école de ceux qui, comme M. Mommsen, pour connaître l’administration et les magistratures à Rome, se servent à la fois de la jurisprudence et de l’épigraphie. Les inscriptions suppléent souvent au silence des lois, qui ne peuvent pas tout dire ; elles nous montrent comment elles étaient appliquées ; elles nous font suivre leur action dans les mille complications de la vie. Elles sont donc un complément indispensable à l’étude de la législation. M. Labatut l’a bien compris, et il a voulu joindre dans ses travaux à la lettre morte du texte le commentaire vivant de l’histoire. Il a suivi les excellens cours de M. Léon Renier, dont il aime à se dire l’élève. Il s’est mis ensuite à l’œuvre avec une ardeur qui sent la jeunesse ; il semble avoir voulu embrasser d’un coup l’administration romaine tout entière. Sans parler d’un grand nombre d’articles qu’il a fait paraître dans les recueils de législation et d’archéologie, et surtout d’un travail très intéressant sur les curatores des cités, il a été couronné par l’académie de Toulouse pour un mémoire sur l’édilité ; il vient de publier une Histoire de la Préture[1], et il promet de nous donner un jour une étude sur toutes les magistratures judiciaires de Rome. Ces entreprises méritent d’être encouragées, à la condition pourtant que chaque partie vienne à son heure et sans hâte.

L’histoire de la préture, étudiée, comme l’a fait M. Labatut, dans les lois, chez les historiens et dans l’épigraphie, présente un grand intérêt. C’est vraiment l’histoire entière de Rome qu’il nous fait parcourir à propos d’une seule magistrature, tant elle se trouve étroitement liée à toutes les destinées du peuple qui l’imagina. Modeste dans ses débuts, elle grandit avec lui. Le préteur fut chargé d’abord de rendre la justice aux citoyens et aux étrangers ; plus tard il fut mis à la tête des armées quand elles se multiplièrent et que les consuls ne suffirent plus à les commander ; il fut enfin envoyé dans les pays qu’on venait de soumettre et gouverna le monde vaincu : admirable flexibilité de toutes ces institutions, nées de la nature même des choses et se modifiant avec elles, capables de se plier à tous les changemens et prêtes pour, toutes les fortunes ! Cette souplesse est assurément un des secrets de la grandeur romaine. M. Labatut a étudié la préture, à travers toutes ces modifications, sous la république et sous l’empire, depuis sa naissance jusqu’à sa destruction. En exposant les attributions du préteur à Rome, il a été amené à nous faire connaître ce qu’a été dans les divers temps la jurisprudence

  1. Histoire de la Préture, par M. Edmond Labatut, docteur en droit. Paris, Thorin