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criminelle et civile ; en le suivant dans les provinces, il a rapidement esquissé la façon dont les Romains gouvernaient leurs conquêtes. Il a donné surtout des renseignemens curieux et instructifs sur l’édit qui a si profondément modifié la législation romaine, en l’accommodant au progrès des temps et des idées, et il a montré que cette législation, qui se piquait d’être immobile, doit précisément sa grandeur à ses changemens.

Ce sujet, on le voit, est fort étendu ; peut-être M. Labatut a-t-dl eu tort de chercher encore à l’agrandir plutôt que de le restreindre. J’avoue que je l’aurais vu renoncer sans peine à cette introduction où, sous prétexte de chercher les sources du droit, il s’occupe des origines de Rome et de l’histoire de ses premiers rois. Ce sont des questions obscures, difficiles, qu’il ne faut pas trancher en passant[1] ; mais M. Labatut a tenu à nous dire qu’il croit à Romulus et à Numa, et que, loin de révoquer en doute l’enlèvement des Sabines, « il pense que les Romains les enlevèrent plutôt dix fois qu’une. » Il me semble pourtant que la science ne gagne rien à s’encombrer ainsi de légendes. Puisque aucune autorité ne nous contraint à croire à celles-là, profitons-en pour nous en occuper le moins possible ; laissons flotter au hasard, comme dit M. Mommsen, ces feuilles desséchées, qui ne laissent plus reconnaître à quel arbre elles ont jadis appartenu. Je ne crois pas que l’histoire en puisse jamais faire grand’chose ; en tout cas, l’histoire de la préture pouvait aisément s’en passer.

En écrivant son livre, M. Labatut a fait preuve d’un goût très vif pour le travail et d’une vocation véritable pour la science. Ce sont des mérites assez rares aujourd’hui pour qu’on doive sincèrement l’en féliciter. Cependant il fera bien, quand il publiera la suite de ses études sur les magistratures judiciaires, de travailler à rendre sa science de plus en plus précise et sûre. On pourrait lui reprocher, dans son Histoire de la Préture, de ne pas toujours étudier ses textes d’assez près, de laisser quelquefois des obscurités ou même des erreurs dans la traduction des inscriptions qu’il cite. Le dirai-je aussi ? il ne corrige pas ses épreuves avec assez de soin. Ce reproche semble d’abord assez futile ; il ne l’est pas cependant. On dit qu’une certaine négligence convient aux poètes et qu’ils se vantent presque d’ignorer l’orthographe. Les savans doivent avoir plus de scrupules. C’est la coquetterie des œuvres d’érudition qu’on n’y puisse pas surprendre une faute. Il y en a malheureusement beaucoup dans le livre de M. Labatut, et il ne les a pas toutes signalées dans ses longs errata. Par exemple, il ne faut pas qu’il laisse écorcher presque à chaque, page le nom illustre de M. Mommsen, ou qu’on lise dans son livre que le père de Néron s’appelait Domitien. Être exact et sûr en tout, c’est vraiment le commencement de la science.


GASTON BOISSIER.


L. BULOZ

  1. Ces questions viennent d’être traitées de nouveau avec une grande sagacité et beaucoup d’érudition dans un ouvrage posthume de Rubino, intitulé Beiträge zur Vorgeschichte Italiens, que ses amis ont publié il y a quelques mois.