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lisation et de liberté « pour l’Europe, pour le monde entier, » un organe français à Paris, l’organe bien connu de la démocratie impé- riale publiait de son côté un véritable manifeste où les mêmes idées se trouvaient revêtues de toutes les pompes magistrales et magiques, de toutes les splendeurs de la « mission napoléonienne. » Dans une série d’articles très remarqués sur la Politique de la Prusse[1], une plume autorisée et autoritaire traçait au gouvernement français un programme dans les complications qui s’annonçaient, et il importe de bien peser les paroles de ce programme, car il exprimait les convictions d’un groupe d’hommes aussi décidés qu’influens, de ce groupe en un mot qui, dans le personnel de la cour et de la diplomatie, représentait ce que l’on pourrait bien appeler le parti de l’action.

Plus hardi, tenu aussi à moins de réserve que le porte-voix de M. de Goltz, l’écrivain patenté de la démocratie impériale aborde très franchement le problème, et ne met point en doute les projets de la Prusse ni la légitimité de ces projets. « La fatalité géographique, dit-il, condamne la Prusse à être en Allemagne l’instrument du changement, le pivot de la révolution. Il n’est pas en effet d’état géographiquement plus mal conformé que la monarchie de Guillaume Ier : or quand on est couché sur un oreiller aussi incommode, on a des insomnies, et l’on rêve les yeux ouverts : on rêve de s’arrondir, de prendre du ventre. » La Prusse ne tardera pas à balayera une poussière de petits souverains» sur l’Elbe, le Mein et l’Oder, à broyer la vieille et caduque confédération germanique. « Ces projets de concentration, d’absorption des petits états, sont d’ailleurs favorisés par le courant général de la politique européenne, qui tend à unir, à annexer tous les élémens homogènes. » Mais la disparition des petits états n’augmentera-t-elle pas les occasions de frottement et de conflit entre les grandes puissances devenues ainsi limitrophes? « C’est là un préjugé de notre ancienne diplomatie, répond l’écrivain; la disparition des petits états, loin de multiplier les causes de guerre, deviendra au contraire un gage de paix, en rendant toute guerre tellement calamiteuse qu’on se hasardera difficilement à l’affronter. » Et le publiciste finit même par arriver à un axiome d’une précision mathématique, à cette formule que « plus les états limitrophes sont puissans, plus il y a d’égalité entre leurs forces, moins il y a de chances de guerre. »

Dans ce branle-bas toutefois que M. de Bismarck va donner à l’Al-

  1. Dans le commencement du mois de mai 1866, alors que la guerre était déjà imminente, l’auteur réimprimait ces articles en brochure, « sans y changer une syllabe, » et « comme une sorte de préface au drame qui semble à la veille de s’engager. » (La politique de la Prusse, Paris, imprimerie Dubuisson, 1866.)