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l’hiver, les deux ambassadeurs de Prusse et d’Autriche avaient fait assaut de politesses et de gracieusetés envers la cour des Tuileries sans que les juges du camp attitrés et attifés eussent pu dire lequel des rivaux avait obtenu le prix. Tantôt c’était le prince Metternich qui apportait au prince impérial de France le grand cordon de l’ordre de Saint-Étienne ; tantôt c’était le comte de Goltz qui, dans un bal splendide, offrait à l’impératrice Eugénie un bouquet qu’avait commandé le jour même, par le télégraphe, le très vieux et très galant Guillaume Ier. Lequel des deux, du ruban ou du bouquet, pèsera d’un poids plus grand dans les balances du Brennus gaulois? se demandait le public sans oser décider, tout en voulant peut-être choisir. Encore dans ce mois de mars, les feuilles annonçaient un jour (le 7) que M. de Goltz retournait de Berlin porteur des insignes de l’Aigle-Noir de Prusse pour le fils de l’empereur Napoléon III, et un autre jour (le 11) que l’ambassadeur de France à Vienne venait de remettre au petit prince impérial d’Autriche les insignes de la Légion d’honneur dans une réception solennelle où M. le duc de Gramont s’était exprimé ainsi qu’il suit : « Les deux nations verront avec une égale satisfaction ce témoignage manifeste d’estime et d’amitié qui unit les deux cours; elles y verront aussi le désir réciproque de resserrer les liens qui rapprochent deux peuples et qui ne tarderont pas à se multiplier sous l’influence heureuse de conventions également utiles à l’Autriche et à la France... » M. de La Marmora voulut avoir le cœur net au sujet de la politique des Tuileries, pénétrer jusqu’à la pensée intime que cachaient tant de festons et d’astragales ; peu de temps après le départ du général Govone pour Berlin, il envoyait à Paris le comte Arese.

Ami dévoué de jeunesse, ancien compagnon d’exil de l’empereur Napoléon III, le comte Arese est un de ces hommes rares en Italie, rares aussi dans tous les pays, qui ne cherchent dans une grande intimité avec un souverain étranger et puissant que le moyen d’être utile à leur patrie, aussi soigneux du reste à rendre des services inappréciables à la cause nationale qu’à n’en jamais faire montre. Ce n’était point la première mission intime que lui confiait le fils de Charles-Albert auprès de l’ami impérial; cette fois pourtant le « gentilhomme lombard » ne réussit pas complètement dans ses démarches. Le cabinet de Florence aurait voulu s’assurer qu’on approuvait à Paris aussi bien les visées du roi Guillaume que celles du roi Victor-Emmanuel, « et que la France ne mettrait pas les mêmes obstacles aux progrès de la Prusse en Allemagne qu’avait soulevés la Prusse en 1859 aux progrès de la France en Italie. » Ces assurances, le comte Arese ne put guère les obtenir. On com-