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« une politique funeste de cabinet, » et l’avance faite à la démocratie par la motion du 9 avril, loin de désarmer les haines, n’avait servi qu’à raviver les suspicions. Les populations de la Prusse elle-même n’étaient ni les moins hostiles ni les moins démonstratives contre « le grand perturbateur. » On avait dû renvoyer les chambres dès le mois de février; le National Verein à Berlin votait une résolution identique à celle du comité des 36 à Francfort; les villes principales du royaume, Cologne, Magdebourg, Stettin, Minden, etc., envoyaient des adresses au souverain en faveur de la paix; la très honorable corporation marchande de Kœnigsberg, de la cité de Kant, décidait de ne plus illuminer le jour de la fête du roi. Enfin il n’est pas jusqu’à son propre parti, jusqu’au parti de la Croix, qui ne reniât maintenant l’Eliacin tant chéri jadis, et ne parlât de briser son vase d’élection. La langue de M. de Gerlach s’était déliée après un long et morne silence, et le célèbre rundschauer accusait nettement le président du conseil de semer la révolution sur ses pas et « de dissoudre tous les élémens conservateurs de la monarchie. » La cour ne lui pardonnait pas les poignées de main distribuées à un Govone, ni l’appel fait au suffrage universel, et il avait beau prouver à son roi qu’il s’agissait seulement de repousser un agresseur sans scrupules et sans force, qu’il s’agissait en outre de la maison du Seigneur et de la maison des Hohenzollern, Guillaume Ier n’en éprouvait pas moins par momens des frissons d’honnêteté, des « fièvres tierces de la conscience, » pour parler avec Shakspeare, et il reculait d’épouvante. Signer un « accord éventuel » avec l’Italie, convenir en « termes généraux » d’une guerre possible, y chercher le moyen « d’influencer» l’Autriche et d’obtenir d’elle la possession légitime du cher port de Kiel, on le croyait à la rigueur permis, il n’y avait en tout cela peut-être qu’un péché véniel; mais le péché mortel d’une guerre véritable, d’une guerre à fond, comme devait le dire bientôt la fameuse note Usedom, d’une guerre avec l’assistance de Carignan, de Garibaldi, de Kossuth,... non, on était bien décidé à ne pas le commettre, à moins qu’un commandement d’en haut...

En haut, en France, dans cette patrie de Richelieu et de Talleyrand qui devait planer au-dessus de ces querelles d’Allemands, tantôt affligée et tantôt réjouie, mais toujours neutre et bienveillante, les esprits commençaient à s’aigrir, à s’émouvoir. L’opinion était loin de se montrer favorable au futur vainqueur de Sadowa. Il ne manquait pas, il est vrai, de fanatiques qui, dans la grande perturbation dont l’Europe était menacée, ne voyaient que l’affranchissement de Venise, l’unité de l’Italie et surtout la chute du pouvoir temporel. Devant ce delenda Carthago, ils imposaient silence à