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une telle combinaison la neutralité expectante qu’ils avaient d’abord eux-mêmes suggérée à la veille de l’entrevue de Biarritz et dont ils s’étaient longtemps contentés. Ces hommes n’avaient plus une confiance aussi absolue dans la politique naguère encore tant prônée, « une politique qui, sans guerre, sans péril, et par le seul fait d’une entente morale et purement diplomatique devait compléter l’Italie, reconstituer l’Allemagne, et briser le faisceau de la coalition. » Ils mettaient maintenant en garde contre un effacement qui, en se réservant une liberté d’action à un moment quelconque, risquait de la perdre au moment opportun; ils trouvaient qu’une neutralité qui se déclarait ainsi d’avance hostile au vainqueur, se préparait des mécomptes, peut-être même des dangers, et ils demandaient qu’on s’unît franchement à la Prusse et à l’Italie pour s’assurer le fruit d’une victoire commune et faire triompher « le droit nouveau. » Ils étaient peut-être dans la logique de la situation; mais le discours d’Auxerre ne signifiait nullement l’adoption d’un pareil programme. Il avait seulement le dessein de rassurer la Prusse, de lui prouver que l’attitude des chambres ou de l’opinion n’aurait pas d’influence sur la pensée immuable du gouvernement, que l’Italie formerait toujours « la chaîne sympathique » entre Paris et Berlin, — et il atteignit pleinement son but. Le même jour où furent prononcées les paroles d’Auxerre, le roi de Prusse écrivait au roi Victor-Emmanuel une lettre autographe destinée à effacer la fâcheuse impression de l’incident du 2 mai, de la singulière interprétation qu’à cette date la cour de Berlin avait donnée au traité d’alliance. Sans promettre encore d’une manière absolue de déclarer la guerre à l’Autriche, Guillaume Ier s’y engageait du moins à ne pas délaisser son bon frère et bon ami dans le cas où il serait assailli par l’archiduc Albert, et il exprimait la conviction « que rien ne pourrait briser les liens qui unissaient l’Italie et... la France[1]! » Dès lors tout reprit sa marche ordinaire, et l’esprit, le mauvais esprit qu’avaient enchaîné pendant quelques jours à la cour de Berlin les exorcismes du parti Gerlach souffla de nouveau où il voulait. Le 7 mai, une dépêche prussienne à l’adresse de M. de Mensdorf rejetait définitivement toute intervention du Bund dans le différend des duchés; le 8 et le 10, des ordres royaux mobilisaient les derniers corps d’armée et toute la landwehr. Le pieux Hohenzollern venait enfin d’entendre la voix d’en haut, et M. de Bismarck était complètement rétabli.

Il est vrai qu’après avoir tiré le 6 mai « le coup de canon en Europe, » la France employa tout le reste du mois à une tentative de conciliation, à un essai de réunir un congrès ou une conférence

  1. Le Général La Marmora et l’Alliance prussienne.