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à Paris pour discuter un arrangement pacifique ; elle y travailla avec plus de charité que de foi et d’espérance. Le programme plusieurs fois remanié de ce congrès devait, d’après la dernière rédaction que lui donnait une circulaire de M. Drouyn de Lhuys en date du 24 mai, porter exclusivement sur « la question des duchés de l’Elbe, celle du différend italien, enfin sur la question des réformes à apporter au pacte fédéral de l’Allemagne, en tant que ces réformes pourraient intéresser l’équilibre européen. » L’Italie n’avait qu’à y gagner, la Prusse n’avait rien à y perdre. Elles acceptèrent ces bases de discussion tout en continuant leurs armemens ; mais le ministre des affaires étrangères d’Autriche, sans décliner la proposition, demanda (1er juin) « que l’on exclût des délibérations toute combinaison qui tendrait à donner à un des états invités un agrandissement territorial ou un accroissement de puissance. » A la suite de cette réponse, le Moniteur français dut annoncer le 7 juin que les négociations étaient rompues.

Et comment en pouvait-il être autrement ? il serait malaisé de le contester, on faisait à l’Autriche une situation vraiment intolérable. On proposait à une puissance que l’on nommait grande et que l’on croyait telle d’abandonner une possession des plus légitimes selon les traités, — la première de ses possessions au triple point de vue militaire, maritime et politique, — parce qu’un état voisin avait besoin de cette province « pour compléter ses destinées ; » on lui proposait cet « acte de suicide » en pleine paix et devant un tapis vert ! Ce que l’on n’avait jamais osé demander à la Russie au sujet de cette Pologne qu’elle ne détient cependant que sous de certaines obligations expressément stipulées par l’Europe et impudemment violées par les tsars, on le demandait à l’Autriche au sujet de la Vénétie, qu’elle avait acquise sans conditions dans un temps où l’Italie n’existait point en tant qu’état européen ; on lui demandait de venir discuter ses titres et prouver son droit ! Le congrès qu’on projetait se donnait aussi pour mission de satisfaire la Prusse, de contenter cette monarchie de Brandebourg qui ne pouvait se plaindre, elle, ni de sa nationalité opprimée ni de la domination étrangère, qui se plaignait simplement de ne pas être assez grande, assez bien « limitée, » qui prétendait, par la bouche de M. de Bismarck, « avoir un corps trop petit pour sa longue armure, » et qui allongeait toujours son armure afin d’y ajuster sa taille. On invoquait pour l’Italie le « droit nouveau, » une invention des dernières années ; pour la Prusse, on invoquait un droit un peu plus ancien, celui qu’inventa Frédéric II, le droit de « s’arrondir ! » Il est vrai qu’on avait d’abord parlé aussi de compensations territoriales pour l’empereur François-Joseph ; mais le programme de M. Drouyn de Lhuys, dans sa dernière rédaction, se taisait sur ce point, et très sagement à