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n’aurait pu le prédire, car les tâtes chauves y figuraient en grande majorité. Étienne reconnut que l’on peut vieillir en province sans tourner à l’aigre. Un ancien magistrat, svelte et propret, détailla fort joliment une ariette que Mozart lui avait apprise en 4786. Et comme on s’étonnait qu’il eût si bien gardé un souvenir de sa première enfance, il répondit en se rengorgeant : « Mais, madame, en 86 j’avais seize ans, l’âge de Chérubin et quelque peu de son caractère !

A la chuta du jour, invités et villageois se réunirent sur la pelouse. Hortense ouvrit le bal avec le capitaine des pompiers, et Étienne avec la femme du maire. Ce divertissement profane n’effaroucha nullement le bon curé. Comme Étienne le félicitait de sa tolérance, il s’écria : Nous prenez-vous pour des gens du moyen âge ? L’Église a fait de grands progrès, tout immuable qu’on la dit. Soyez chrétiens, respectez nos dogmes, soumettez-vous à notre autorité, et l’on vous tient quittes du reste. Mille millions de rigodons font moins de tort à Dieu qu’une ligne de Voltaire. »

Le temps courait grand train pour les danseurs de tout tige et de tout étage, Étienne et sa femme exceptés. Ils s’échappèrent enfin vers dix heures et gagnèrent une vaste chambre oh les serviteurs du défunt, restés en place, avaient laissé le portrait de leur maître. L’heureux époux n’y prit pas garde ; mais le lendemain matin, tandis que la jolie tête d’Hortense reposait sur l’oreiller, il devina Bersac sous la toque et la robe d’un juge consulaire. Il se leva sans bruit, salua gravement l’image du bonhomme et lui dit in petto : Merci, monsieur, de m’avoir légué, sinon une jeune fille, du moins une femme aussi chaste que belle ; vous étiez un vieillard honnête et délicat.

IV

Le cahier manuscrit que je copie, en l’abrégeant, s’arrête au lendemain du mariage pour reprendre en janvier suivant ; c’est une lacune d’environ cinq mois. Nul doute que la lune de miel n’ait été sereine et radieuse. Quelques papiers épars qui datent probablement de cette époque, nous révèlent les manies du premier mari, les étonnements d’Étienne et la docilité d’Hortense.

Bellombre, situé à trois lieues de la ville, dans un pays charmant, datait du règne de Louis XIII. M. Bersac avait gâté le parc à grands frais pour y tracer des lignes droites ; il avait rebâti, Dieu sait comme, les deux ailes du château. Tout le meuble était riche et moderne, acajou et lampas, dans le style cossu de 1835. A l’entrée de chaque pièce, on lisait sur une pancarte l’inventa