Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 77.djvu/572

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

avec un architecte instruit, adroit, complet, les détails d’une habitation à souhait pour la commodité d’une vie heureuse. Il esquissa des plans, assortit des couleurs, dessina certains meubles, le lit entre autres, qui fut un vrai chef-d’œuvre du genre. Le mobilier s’exécutait à Paris, mais il dirigea lui-même au jour le jour les décorateurs et les tapissiers qui travaillaient sur place. Jusqu’au printemps, la vieille maison glaciale fut remplie d’un désordre bruyant et gai. Les deux époux, cantonnés dans un petit logement sous les combles, comme un ménage d’étudiants, jouirent d’un bonheur inquiet, affairé, contraint et d’autant plus délicieux.

Ils allaient tous les jours dans le monde, mais avec quel plaisir ils se retrouvaient chez eux ! Jamais on n’avait ri de si bon cœur sous ce grand toit de plomb et d’ardoise. Étienne ne pouvait plus rester deux heures hors du logis ; il suivait comme un enfant les mouvements alertes des ouvriers parisiens : cet homme que la fièvre du travail avait parfois transporté jusqu’au délire éprouvait une sensation neuve à suivre, les bras croisés, le travail d’autrui.

Le bruit courut bientôt que M. et Mme Étienne se faisaient un intérieur comme on n’en avait jamais vu. Le petit Célestin s’alarma de cette nouvelle et voulut constater par ses yeux qu’on ne gaspillait pas son capital. Il fut amplement rassuré. Le cuir, la laine, la cretonne imprimée, remplaçaient à peu près partout les soieries de Lyon ; l’or se montrait à peine çà et là, discrètement, pour rehausser quelques saillies ; jamais le luxe n’avait fait un tel étalage de simplicité. Le bonhomme trouva tout à son gré, il ne chicana point sur les nouveaux projets d’Hortense, qui parlait d’emmener à Bellombre l’architecte et les ouvriers. Cette soumission de bon goût fut récompensée huit jours après ; on lui remit un acte attestant que toutes les valeurs dont Hortense avait l’usufruit étaient transférées au nom du nu— propriétaire ; son héritage était en sûreté !

L’appartement fut prêt, meublé, livré à la fin de mai, au grand étonnement des ouvriers du cru, qui plantent un clou dans leur demi-journée. Le 6 juin, on pendit la crémaillère ; il y eut un grand bal suivi d’un souper assis. La ville entière admira le beau stylo et le confort exquis de toute la demeure, et les convives du souper, quatre-vingts personnes environ, déclarèrent unanimement que la salle à manger, l’éclairage, les porcelaines, les cristaux, la cuisine de Mme Madeleine et la cave de feu Bersac formaient un tout indivisible dont la perfection pouvait être égalée, mais non surpassée chez les rois. La cave, bien connue dans le département, contenait encore dix-sept mille bouteilles de vins choisis ; il y en avait dix mille à Bellombre. L’heureux couple s’esquiva sur ce mémorable succès. Ce ne fut pas sans avoir invité le préfet et vingt