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laire il n’a plus rien à demander au ciel! Mais, hélas ! c’est 6 francs 25 cent, par jour de travail. Or sur 365 jours il faut défalquer quatre grandes fêtes et deux dimanches par mois en moyenne; cela réduit l’année à 337 jours ouvrables. Il est de toute nécessité de retrancher la morte saison; mais ce n’est pas tout, et les intempéries de l’air que nous oublions! car comment travailler sur un toit humide et glissant, soit quand il pleut, soit quand il neige, soit quand il gèle? » En mettant ainsi trois mois et demi pour les chômages et les repos forcés, l’année est réduite à 232 jours, et le budget à 1,450 francs. « Ajoutons 150 francs du gain de la femme : voici donc un ménage qui aura 1,600 francs à dépenser, tant qu’il se portera bien, pour vivre dans la capitale régénérée par M. Haussmann... Comment va-t-il organiser ses dépenses? Premièrement il faut se loger. Nous savons ce que sont devenus les logemens. Depuis quelque temps, on perce de magnifiques boulevards à travers les rues les plus pauvres. Les maisons ressemblent à des palais, la riche bourgeoisie peut à peine les habiter... Quant aux ouvriers, relégués fort loin du centre, il faut parler encore de 250 à 300 fr. pour qu’ils aient une petite chambre et un cabinet où l’on puisse mettre deux lits, une armoire, une table, quelques chaises[1]. Nous mettons donc 300 francs pour le logement... Notre compagnon ne portera point de haillons, non plus que sa famille, car il faut que l’ouvrier puisse se présenter chez un patron et sa femme chez une maîtresse. Nous tenons à la disposition des personnes qui le demanderont un bilan où il est démontré qu’il dépense annuellement 400 francs pour le vêtement, et nous supposons qu’il ne s’habille que de toile grossière, et que la ménagère prendra sur son sommeil pour raccommoder et rapiécer à outrance... Le blanchissage est assez dispendieux pour une femme, à cause du linge tuyauté et empesé; si nous ne le portons qu’à 36 francs par an, c’est que nous supposons que l’ouvrière fera elle-même ses savonnages, qu’elle profitera du lavoir public pour la lessive. Enfin il faut de la lumière, il faut un peu de feu, il faut des outils, qui malheureusement se cassent trop souvent : il faut des livres pour l’enfant, etc.. » Toutes ces dépenses récapitulées mènent à 850 fr. Il reste donc 750 francs pour la nourriture de quatre personnes; mais l’ouvrier couvreur ne peut déjeuner chez lui quand il travaille;

  1. Nous trouvons dans le rapport d’un autre délégué, sur la question des logemens ou plutôt des propriétaires, ce trait qui ne manque pas d’humour. « La question du déménagement est si grave aujourd’hui qu’on se garderait bien de se plaindre ou de faire la moindre réclamation. Qui donc oserait, tout en payant bien son loyer, se trouver sur le chemin de son propriétaire? car, pour lui, celui qui paie régulièrement prouve d’une manière évidente qu’il supporterait bien encore quelque petite augmentation. »