Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 77.djvu/617

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

trons « tendant à forcer injustement et abusivement l’abaissement des salaires. » Quant aux ouvriers, toute coalition pour « faire cesser de travailler, interdire le travail dans un atelier, empêcher de s’y rendre ou d’y rester avant et après de certaines heures, et en général pour suspendre, empêcher, enchérir les travaux, » était punie d’un emprisonnement d’un mois à trois mois pour les simples coalisés et d’un emprisonnement de deux à cinq ans pour les chefs ou moteurs, sans préjudice de la surveillance de la haute police. La loi qui fut promulguée le 25 mai 1864 mit les patrons et les ouvriers sur la même ligne, et ne déclara coupables que ceux qui, « à l’aide de violences, voies de fait, menaces ou manœuvres frauduleuses, auraient amené ou maintenu, tenté d’amener ou de maintenir une cessation concertée de travail, dans le but de forcer la hausse ou la baisse des salaires ou de porter atteinte au libre exercice de l’industrie ou du travail. » Ainsi l’ancien délit de coalition disparaissait, on ne punissait plus que les violences et menaces; on avait introduit, il est vrai, dans le texte de la loi l’expression un peu élastique de « manœuvres frauduleuses, » qui pouvait être l’occasion de mille tracasseries; mais enfin on reconnaissait hautement aux ouvriers le droit de se concerter au sujet de leur salaire et de se mettre en grève dans les cas où ils le jugeraient utile. Seulement, pour user de cette faculté, il fallait pouvoir se réunir. « Les ouvriers, dit un délégué, se voient à l’atelier ou à la promenade, quelques-uns dans les endroits où ils prennent leurs repas. Ils peuvent bien y converser entre eux; mais, s’ils délibèrent, ils violent la loi. Il faut donc qu’ils se concertent par délégués, et qu’ils se donnent ainsi une organisation occulte et des chefs. Est-ce là ce qu’on a voulu? Ne vaudrait-il pas mieux, dans l’intérêt de la société comme dans celui des ouvriers, leur permettre de se réunir publiquement et paisiblement? » L’inconvénient des grèves était en effet accru par la nécessité de les organiser clandestinement. « Il n’y a pas, dit le même délégué en parlant de la grève, de résolution plus grave à prendre, ni qui exige plus de maturité et de réflexion. C’est pourtant cette résolution qui, par le caractère incomplet de la loi, se trouve brusquée. Point d’assemblée entre ouvriers, point d’enquête sur les faits. C’est la colère au lieu de la réflexion qui décide... Cependant une grève, à la bien prendre, c’est la guerre. Quelle imprudence! Une guerre sans délibération préalable! » L’administration, il est vrai, annonçait l’intention de permettre aux ouvriers de se réunir toutes les fois qu’ils en demanderaient l’autorisation; mais moins que d’autres peut-être les ouvriers aiment à vivre sous un régime de tolérance, il leur faut des droits bien assis et nettement définis. La loi du 6 juin 1868 est venue, comme nous