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qui acceptaient des salaires inférieurs au taux fixé par le comité, étaient poursuivis de vexations de toute sorte, et devenaient victimes des procédés les plus barbares : on brisait leurs outils, on leur jetait de l’acide sulfurique au visage. S’agissait-il de briquetiers, on mêlait des aiguilles à l’argile qu’ils maniaient; s’agissait-il de rémouleurs, on plaçait de la poudre à canon dans leurs meules pour les faire éclater au moment du travail. En certains cas, on a fait sauter avec de la poudre les maisons des dissidens pendant qu’ils s’y trouvaient avec leur famille. Enfin les meneurs de cette agitation terroriste n’ont pas reculé devant l’assassinat en pleine rue à coups de fusil. Un certain William Broadhead, rémouleur de scies à Sheffield, s’est acquis à ce sujet une sinistre notoriété. Fort de l’inviolabilité que lui assuraient les commissaires d’une enquête ouverte par le parlement, il a avoué les meurtres qu’il avait commis ou commandés, et il a fait le cynique récit des procédés dont il avait usé pour vaincre toutes les résistances par la terreur. Voilà des exemples qui seraient faits pour conseiller à nos syndicats d’ouvriers, s’il en était besoin, la modération et le respect de la volonté individuelle. Au reste les violences et les crimes que nous venons de rappeler ne peuvent être que de monstrueuses anomalies; mais, sans recourir aux voies de fait, il est mille moyens de contrainte que les syndicats peuvent être tentés d’employer pour assurer l’unité de leurs corps de métier. C’est contre cette tendance qu’ils doivent se prémunir, et ils ne peuvent trop se répéter que tout ce qui entraverait la liberté du travail serait directement contraire à leurs intérêts.

Il ne nous reste plus guère, pour épuiser le programme de nos délégués, qu’à parler de leurs espérances au sujet de la coopération. Les sociétés coopératives sont fort en vogue depuis quelque temps; les populations ouvrières y voient un mode de production propre à relever leur dignité et à améliorer leur avenir. Des ouvriers directement associés entre eux pour une fabrication[1], n’ayant à leur tête que des gérans qu’ils ont eux-mêmes désignés, se trouvent sans doute dans une condition de tout point supérieure à celle qui résulte du salariat. Deux sortes d’obstacles s’opposent à l’établissement de semblables sociétés; les uns sont dans la nature des choses, les autres résultent de la législation. Parlons d’abord des premiers. Sur les difficultés naturelles que

  1. Le mouvement coopératif comprend aussi les associations de consommation et les sociétés de crédit mutuel; mais, comme nous devons nécessairement nous borner aux points principaux de notre sujet, nous ne parlons ici que des associations de production. Nous laissons aussi tout à fait de côté les sociétés de secours mutuels, que les ouvriers trouvent en général un peu trop enfarinées de tutelle administrative.