Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 77.djvu/687

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

comme c’est elle aussi qui fait la différence essentielle de l’homme et des autres animaux. Chez plusieurs d’entre eux, elle sommeille; chez d’autres, elle est dans un état embryonnaire; chez les animaux supérieurs, elle est déjà très développée. Quelques-uns sont voisins de l’homme pris dans ses races les plus infimes : il y a des hommes qui parlent des langues rudimentaires, qui comptent jusqu’à trois et qui adorent un bâton; dira-t-on qu’ils ont l’idée de Dieu? Oui, sans doute, ils en ont une idée, mais elle est bien inférieure au sultan céleste des Arabes. L’Arya seul a conçu l’être, la pensée et la vie dans leur unité absolue. C’est donc lui qui est le véritable auteur de la religion, et son plus ancien livre de métaphysique est le Véda.

La succession des hymnes qui composent ce recueil nous montre la théorie se développant chez nos aïeux pendant une période de plusieurs siècles. C’est par le travail de la pensée solitaire, par l’enseignement et par la discussion qu’elle est parvenue lentement à ses formules définitives. Le fait initial fut un coup d’œil jeté sur la nature. À cette vue d’ensemble succéda la réflexion : l’Arya essaya de saisir un lien entre les phénomènes qui avaient frappé ses sens. L’idée de force, de puissance, lui suggéra des causes immédiates auxquelles il attribua ces phénomènes, et il conçut les dieux ; puis, à mesure qu’il aperçut entre les choses des rapports plus étendus et plus profonds, il comprit que ces dieux étaient des dénominations diverses de quelques forces plus simples : le nombre des dieux diminua. Enfin, le mouvement naturel de la méthode conduisant toujours les esprits dans la voie de l’unité, les hommes supérieurs qui composaient les hymnes comprirent que les forces invisibles de l’univers pouvaient être ramenées par la pensée à une force unique dont elles n’étaient elles-mêmes que des aspects variés. Ainsi la première investigation de la nature conduisit les hommes blancs de l’Asie centrale par une marche progressive à la conception de l’Être unique, qui cessa pour eux d’être une hypothèse et eut à leurs yeux autant de réalité que les choses dont il était l’explication. Sa réalité fut même plus grande et sa puissance eut nécessairement quelque chose de surnaturel, car, si les phénomènes actuels du monde sont son œuvre, ceux du passé l’étaient aussi, et ceux qui sont à venir sortiront également de son vaste sein. Comme le temps et l’espace, qui sont le lieu de production de ces phénomènes, sont illimités, la puissance de celui qu’on appela Savitri, c’est-à-dire le créateur, fut conçue comme infinie.

Mais il faut bien comprendre que, le point de départ de cette théorie ayant été un fait d’observation pure et simple, il n’y avait aucune raison pour nos aïeux de placer hors des choses la force qui