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pour elle comme une consécration. Libre depuis ce jour, elle grandit avec Platon, reçut d’Aristote ses formules générales, ses règles et ses méthodes, fut cultivée et appliquée par les alexandrins; le dernier d’entre eux, Proclus, entreprit l’étude que nous réalisons en ce moment, et malheureusement mourut sans avoir accompli sa tâche. Après l’édit de Justinien qui, en 529, ferma les écoles païennes et libres, la science s’endormit en quelque sorte dans la longue nuit que le moyen âge chrétien et barbare fit régner sur nous. Le retour de l’hellénisme suscita en même temps l’esprit de liberté et l’amour de la science, que favorisaient d’ailleurs les instincts naturels des populations germaniques répandues jusqu’au cœur de l’Italie. C’est en vain que la politique des états et celle de l’église lutta contre la science : les savans d’abord, les peuples après eux, ne tardèrent pas à comprendre que la vie nouvelle était à ce prix, que les vieilles formes de la pensée devaient être rajeunies par la science, qu’elle seule enfin pouvait étendre le pouvoir de l’homme et affermir son règne sur la nature.

Ce qui caractérise la science moderne depuis Solon jusqu’à nous, c’est l’analyse. Depuis le jour où Xénophane déclara que, « si les chevaux se faisaient des dieux, ils leur donneraient la forme d’un cheval, » il fut entendu que tout le travail de l’intelligence qui avait produit le polythéisme devait être repris, et l’analyse portée dans ces matières. On vit dès lors les différens ordres de phénomènes naturels et d’idées se séparer les uns des autres et devenir successivement l’objet de sciences particulières qui furent créées. Socrate mit les Grecs sur la voie de la psychologie. Platon, son disciple, inaugura la métaphysique, et appliqua l’analyse à la morale et aux institutions politiques. Les pythagoriciens s’adonnèrent aux sciences exactes. Aristote créa et acheva à lui seul la science des méthodes dans des livres qui portent le nom d’Analytiques; il fonda la météorologie, la physique du globe, l’anatomie simple ou comparée, l’histoire naturelle, et donna de l’âme, considérée comme principe vivant et pensant, une théorie qui n’a point été surpassée. Ses méthodes, enseignées et pratiquées après lui non-seulement dans son école, mais dans le monde hellénique tout entier, suscitèrent dans Alexandrie, Tarse, Antioche, Pergame, Athènes et ailleurs des recherches scientifiques et des applications que la dissolution de l’empire, l’ascétisme chrétien et l’invasion des peuples du nord purent seuls arrêter. Quand les sciences reprirent vigueur chez les modernes au temps de l’entrée des Turcs à Constantinople, de la découverte du Nouveau-Monde et de la réforme, elles restèrent séparées les unes des autres, et, loin de tendre à se confondre, elles engendrèrent en se divisant des sciences nouvelles. On reconnut