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et profonds métaphysiciens : Goethe et Humboldt ont plus fait pour conduire les sciences vers l’unité que des philosophes tels que Schelling ou Hegel, parce qu’ils n’ont jamais perdu de vue les faits réels, et qu’ils n’ont tenté la solution du problème général qu’après avoir cherché celles des problèmes particuliers ; mais ces solutions ne sont pas encore atteintes, et nous ne faisons que les entrevoir. À l’heure présente, beaucoup de nouveaux savans sont en même temps métaphysiciens. On peut voir déjà que la théorie dont la formule sortira prochainement de leurs travaux sera celle de l’unité de la substance, de l’universalité de la vie et de son union indissoluble avec la pensée. C’est autour de cette unité centrale que tendent à se coordonner tous les ordres particuliers de phénomènes, dont les lois ne paraîtront plus que des expressions restreintes d’une loi universelle et immuable.

Si tel est le terme où, comme il le paraît, la science est près d’aboutir, on voit qu’elle aura reproduit précisément les mêmes phases que la science hellénique ; elle n’en différera que par un plus haut degré d’analyse et par un changement dans les milieux, au fond la théorie centrale ou métaphysique sera la même. Comme les Aryas l’avaient déjà donnée sous une forme plus concise encore dans les dogmes religieux, il apparaîtra clairement que la religion est aussi vraie que la science, qu’elles sont identiques dans leur méthode et dans leur doctrine, et qu’il n’y a théoriquement aucune raison sérieuse de les opposer l’une à l’autre. On pourra dès lors aussi démêler les causes qui poussent certaines orthodoxies à poursuivre la guerre contre la science, car ces causes sont temporelles et étrangères à la religion. C’est une haute injustice d’accuser les savans d’être ennemis de Dieu, du Christ et de l’humanité<ref> Voyez un discours de M. le cardinal Mathieu, prononcé à Besançon le 6 août 1868. </<ref> ; les savans sont aujourd’hui les premiers et les plus utiles des hommes, comme les prêtres l’étaient au temps où ils n’avaient point d’intérêts mondains à défendre et où la vérité était toute leur étude. La science ne fait point d’entreprise ; elle cherche le mot de l’univers, que l’église catholique a laissé s’obscurcir. Quand elle l’aura trouvé, elle le dira, et nous avons l’espoir que nos fils, plus heureux que nous, ne seront point pour cela traités de criminels et livrés par les prêtres du Christ aux flammes de l’enfer.


ÉMILE BURNOUF.