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tableau : le champ de la vision nette, celui que l’œil fixe directement, est beaucoup plus petit qu’on ne pourrait le croire. En veut-on avoir une idée? Qu’on étende le bras et qu’on regarde l’ongle du pouce : cette petite surface couvre la partie de l’horizon visuel où les images atteignent le maximum de netteté. En dehors de cet espace si restreint, la vue est indirecte : l’œil voit encore, mais voit sans regarder. La mobilité extrême de l’œil déguise, il est vrai, cette infirmité naturelle, car nous promenons le regard dans toutes les directions; la vision directe suit tous les contours, fouille toutes les profondeurs, scrute sans cesse de nouveaux points et s’empare successivement de toutes les parties d’un objet. Le tableau qui s’offre à l’œil immobile et en arrêt n’en est pas moins semblable à ces peintures de Rembrandt où un centre lumineux et doré s’entoure comme d’une pénombre épaisse, où les draperies, les figures, s’enveloppent d’une obscurité de plus en plus confuse, traversée seulement de vagues reflets.

Les objets que saisit la vision directe se peignent toujours au même point de la rétine, sur un petit espace que les physiologistes nomment macula lutca, la tache jaune, placée à une petite distance du point où le nerf optique sort de l’œil. Pour bien comprendre les caractères de la tache jaune, il faut connaître un peu la structure anatomique de la rétine. On peut y distinguer deux couches : du côté de l’humeur vitreuse, de la lumière par conséquent, est une première couche, formée de fibres nerveuses entremêlées de noyaux et de cellules semblables à celles qu’on trouve dans la substance grise du cerveau; la couche intérieure est une véritable mosaïque de fins bâtonnets cylindriques et de cônes un peu plus épais, serrés par les bâtonnets, plantés perpendiculairement à la surface intérieure de l’œil et terminés à la pointe par une fibre nerveuse. La couche nerveuse extérieure, la première touchée par le rayon lumineux, est insensible et littéralement aveugle : c’est seulement dans la couche profonde, dans les cônes, que l’ébranlement éthéré produit la sensation lumineuse. C’est pour cela que la tache jaune est si sensible, car la couche nerveuse y est tellement amincie qu’on y décèle une véritable dépression; le pavé de cônes y est au contraire plus serré qu’ailleurs, et ils sont pressés les uns contre les autres presque sans interposition de bâtonnets. La sensation lumineuse n’est produite dans le cerveau que lorsque les filamens terminaux des cônes entrent en mouvement. Les vibrations infiniment délicates de l’éther s’écoulent en quelque sorte par la pointe des cônes vers le nerf optique et le cerveau.

La rétine voit donc la lumière à travers une couche aveugle et insensible, bien que remplie de fibres nerveuses : celles-ci ne sont