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notable préjudice aux finances péruviennes. Le gouvernement espagnol mit en avant une foule de motifs pour expliquer cette prise de possession. Outre qu’il se plaignait des procédés officiels du Pérou à son égard, il poursuivait le règlement trop longtemps différé d’un grand nombre de réclamations particulières. Des sujets espagnols avaient souffert au Pérou, et leurs plaintes n’avaient pas été écoutées; des propriétés espagnoles avaient été détruites ou ruinées; en dernier lieu, quelques Basques au service d’un Péruvien avaient été maltraités, l’un d’eux avait péri. — C’est dans une querelle privée, où les torts ont été réciproques, disait le gouvernement péruvien. — Soit, répondait l’Espagne; mais punissez les meurtriers. — La justice n’a pu les retrouver, affirmait-on à Lima. En fin de compte, un envoyé espagnol muni de pleins pouvoirs se présenta au Pérou dans le commencement d’avril. Il exigeait la réparation immédiate de tous les griefs anciens ou récens. Il se présentait avec le titre, inusité dans les rapports diplomatiques entre états indépendans, de commissaire extraordinaire de la reine au Pérou. Ce titre, qui avait appartenu jadis aux gouverneurs espagnols de Lima, prit aux yeux des Péruviens une signification d’autant plus menaçante que, seul entre les anciennes colonies espagnoles, le Pérou n’avait pas obtenu de la métropole la reconnaissance expresse et officielle de son indépendance. Il est hors de doute que l’Espagne n’a jamais nourri la prétention de reconquérir le Pérou : l’altière qualification donnée à son envoyé ne fut qu’une manière de constater qu’elle entendait conserver le droit d’exiger de ses anciennes colonies l’attitude respectueuse qui convient à des enfans, fussent-ils émancipés vis-à-vis du chef de la famille; mais la nation péruvienne pouvait aisément s’y tromper, et, avec l’exagération que les peuples méridionaux apportent volontiers dans leurs craintes comme dans leurs espérances, s’imaginer que son autonomie était remise en question. Elle était peu disposée d’ailleurs à se plier aux prétentions de l’Espagne. Le commissaire espagnol n’essaya pas de combattre cette fâcheuse impression; ses allures ne furent ni amicales ni conciliantes; il échoua, et quitta Lima le 12 avril sans avoir rien obtenu. Le 14, le drapeau espagnol flottait sur les Chinchas.

L’amiral espagnol, M. Pinzon, plus soucieux de résultats pratiques que de l’éclat des démonstrations militaires, adopta la conduite la plus propre à ménager les intérêts de l’Espagne et à lui éviter d’inutiles complications. Installé aux îles Chinchas, attendant qu’on vînt l’en déloger, les détenant, dit-il, à titre de gage, il prit la place de l’administration péruvienne, continua pour le compte de l’Espagne l’exploitation du guano, le vendit au commerce neutre, et s’abstint de toute autre agression. Le Pérou protesta, réclama contre