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l’abus de la force, parla de ses droits méconnus, mais n’essaya pas d’entrer en lutte; elle n’eût pas été possible dans de pareilles conditions. Les 16,000 hommes que compte l’armée péruvienne, la garde nationale que fournit une population de 2,500,000 âmes, n’avaient rien à faire contre une escadre qui demeurait au large. La flotte péruvienne, — deux frégates en bois, quatre corvettes, quelques avisos mal préparés pour la guerre et éparpillés dans tous les ports du Pérou, — ne se croyait pas en état de combattre sept gros navires espagnols, dont un cuirassé. Le Pérou, en adhérant sans réserve à la déclaration dressée le 16 avril 1856 par le congrès de Paris, avait renoncé au droit d’armer des corsaires. Il se voyait ainsi privé du seul moyen de rendre à l’Espagne une partie du mal qu’il en recevait. Le gouvernement péruvien ne songea pas à tirer argument de l’inégalité que la non-adhésion de l’Espagne à la suppression de la course établissait entre les deux pays pour revendiquer le droit, que son adversaire conservait, de délivrer des lettres de marque. Il ne semble pas que l’idée de résister autrement que par des protestations lui soit jamais venue.

Ce n’est pas que la population péruvienne n’ait témoigné d’une vive irritation; mais les pouvoirs publics, le président et le congrès, constamment en désaccord, ne s’arrêtaient à aucune mesure pratique. Lever 30,000 soldats, armer vingt navires de guerre, emprunter 150 millions, tels étaient les ordres, plus faciles à voter qu’à exécuter, que la commission permanente du corps législatif dictait au gouvernement. Plus tard, au mois de juillet, quand le congrès fut réuni, il enjoignit au président de la république de prendre sous huit jours les mesures nécessaires pour expulser les Espagnols; puis il crut sans doute avoir assez fait d’imiter la convention française quand elle décrétait la victoire, et il ne s’occupa plus de l’exécution. La population exhalait par de bruyantes manifestations sa colère contre l’Espagne. Elle faisait des émeutes, exigeait le renvoi des ministres en les accusant de faiblesse, même de trahison; mais quand le gouvernement demandait aux capitalistes les fonds d’un emprunt de 80 millions, hypothéqué sur les douanes et portant intérêt à 6 pour 100, l’empressement faisait place à l’indifférence. Les choses demeurèrent en cet état jusqu’à la fin de l’année 1864; les Espagnols restant possesseurs des Chinchas, les Péruviens n’ayant pas les moyens d’entamer les hostilités.

Après la chute du ministère Mon à Madrid le 16 septembre et son remplacement par le cabinet Narvaez, l’amiral Pinzon, dont la prudence avait évité de compromettre l’Espagne plus qu’il n’était nécessaire, céda le commandement de l’escadre du Pacifique à