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les retranchemens édifiés par les Autrichiens eux-mêmes, et que les Prussiens défendaient maintenant avec un acharnement sans égal. Hiller supporta seul pendant près d’une heure ce choc désespéré. Sa résistance héroïque lui coûta la vie, mais assura la victoire aux siens. Le prince royal avançait toujours en effet, et parut bientôt avec son armée. Le bruit de son arrivée s’était répandu déjà, rendant l’ardeur aux assaillans, jetant le désarroi parmi leurs adversaires. Les Prussiens reprirent l’offensive sur toute la ligne. A gauche, Herwarth, tenu en échec pendant six heures, s’élançait à l’assaut. Les Saxons se retirèrent en bon ordre avec leurs canons, soutenant encore la retraite de leurs alliés. Benedek avait épuisé toutes ses ressources; il ne pouvait plus penser qu’à sauver son armée d’une entière destruction. La situation des Autrichiens n’était plus tenable. Balayées à revers par les batteries de Chlum, pressées à la fois par deux armées, dont l’une était intacte encore et toute fraîche, ces braves troupes, qui combattaient si vigoureusement depuis le matin, ne purent résister davantage et cédèrent le terrain. L’artillerie les soutint jusqu’au dernier moment; les hommes se firent tuer sur leurs pièces. Leur dévoûment suffit à peine à retarder de quelques instans le désastre. A trois heures et demie, les Prussiens escaladèrent Lipa; ils étaient maîtres des hauteurs, ils y installèrent aussitôt leurs canons. Dès lors le trouble se mit parmi les Autrichiens. Délogés de leurs positions, poussés sur les pentes qui descendent à l’Elbe par le flot toujours montant de leurs ennemis, ils se précipitèrent vers le fleuve. Il y avait des ponts, mais ils ne suffisaient pas; on s’y rua en tumulte. Les abords de la place avaient été inondés; des milliers de soldats se noyèrent. Les batteries prussiennes, dont le feu plongeait sur elles du haut, des collines, faisaient dans ces masses désordonnées des trouées épouvantables. Le roi de Prusse vint enfin se jeter sur les Autrichiens à la tête de toute sa cavalerie. Il ne restait à Benedek que ses cavaliers de réserve, demeurés en arrière et qu’il n’avait pu employer jusque-là. Il les lança contre cette masse énorme, qu’ils ne purent arrêter. Ces troupes, les plus magnifiques peut-être de l’armée autrichienne et les plus valeureuses, furent culbutées à leur tour sous ce terrible choc. Dans son élan impétueux, le vieux roi Guillaume, enivré de cet immense succès, ne s’arrêta que sous le canon de Kœnigsgrætz, qui tirait à toute volée pour couvrir la retraite. Encore fallut-il que M. de Bismarck le contînt. Vêtu de son fameux uniforme de cuirassier de la landwehr, celui-ci avait assisté à toute la bataille avec ce flegme ironique qui, dit-on, ne l’abandonne jamais. La fatigue d’ailleurs forçait les Prussiens à suspendre la poursuite. A neuf heures du soir, le feu avait cessé.