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conquêtes, ce fut dans le peuple des grandes villes d’Orient, monde ouvert au grand courant des doctrines nouvelles plus ou moins étranges, où les voies lui étaient préparées par les Juifs et autres Orientaux initiés à la civilisation hellénique; mais le grand peuple des campagnes et des petites localités n’y entra point, et persista dans ses superstitions païennes encore longtemps après le triomphe officiel du christianisme. Ce qui décida le succès de la religion nouvelle, ce fut une certaine élite nombreuse et ardente d’esprits trop cultivés pour se contenter du polythéisme vulgaire, trop mystiques pour s’en tenir à la philosophie pure. C’est de cette élite que sortirent à la fois les docteurs de la nouvelle religion et les restaurateurs de l’ancienne. Là, en dehors du monde officiel et par-dessus la tête des masses populaires, se firent en sens divers les efforts de prédication et de propagande qui préparèrent l’avenir religieux du monde. La société officielle n’intervint qu’après pour proscrire d’abord la religion nouvelle, puis pour l’installer dans le palais et les conseils de ses empereurs. L’Orient des bords de la Méditerranée fut le théâtre de cette lutte, obscure d’abord et comme souterraine, ensuite publique, éclatante, qui commence par une mêlée confuse des doctrines chrétiennes, gnostiques, néoplatoniciennes, puis se dégage et se concentre dans une dernière grande bataille entre le christianisme et l’hellénisme alexandrin après la révolution officielle un peu brusque dont Constantin donna le signal. Néanmoins, après sa défaite définitive, le polythéisme reste encore en majorité dans toute l’étendue de l’empire. Pour l’en extirper, il faut que la nouvelle religion fasse appel à la puissance impériale ou aux violences populaires. La scène de la destruction du temple de Sérapis se répète dans toutes les localités, grandes ou petites, où la superstition s’obstine à conserver les monumens de l’ancien culte. Si l’habile politique de Constantin se décida pour la nouvelle religion, c’est qu’elle avait déjà la puissance avant d’avoir le nombre. Phénomène social qui semble étrange, et qui pourtant s’est renouvelé bien des fois dans l’histoire des révolutions de l’humanité, ce n’est pas le nombre qui fait la force, c’est la vie. La société chrétienne était seule vivante et active, avec la nouvelle école platonicienne, au milieu de cette société inerte et découragée de philosophes enfoncés dans leurs controverses scolastiques, de prêtres ensevelis dans leurs sanctuaires, de politiques indifférens à toute foi religieuse, et qui ne soutenaient plus dans le polythéisme qu’une institution de l’état. Lorsque le christianisme eut vaincu son seul rival en doctrine, le néoplatonisme restaurateur de l’ancien culte, tout fut dit; le monde était conquis, le monde vivant où s’étaient agitées les destinées de l’humanité. Qu’importe après cela que le polythéisme ait encore