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C’est toujours le pays de l’imagination et de la rêverie; mais cette imagination n’a plus aucune des hautes et profondes sources auxquelles elle pouvait puiser autrefois, cette rêverie n’a plus que des alimens vulgaires qui ne lui permettent pas les proportions de la légende religieuse. En un mot, l’Orient contient toujours la même race d’esprits; mais il est mort, tandis qu’il était vivant dans ses grands jours d’enfantement religieux.

Que sur cette terre classique des religions il se forme encore aujourd’hui ou demain de nouvelles sectes, même de nouvelles sociétés religieuses, comme il s’en est formé depuis l’avènement du christianisme, il n’y aurait à cela rien d’impossible, ni même d’étonnant, puisque les conditions psychologiques et sociales de l’Orient n’ont pas sensiblement changé; mais de pareils mouvemens religieux, se produisant au milieu de peuples restés si bas dans l’échelle des peuples civilisés, n’auraient rien de ce qui est nécessaire pour gagner les grands foyers de la civilisation occidentale. Et qu’on ne vienne pas ici nous opposer l’exemple du christianisme, parti de la Judée pour conquérir l’Orient hellénisé, la Grèce, l’Italie, et tout le monde civilisé. Entre la civilisation gréco-latine et le monde purement barbare, l’Orient à moitié civilisé de la Méditerranée, l’Orient juif, syrien, alexandrin, fut un merveilleux médiateur; son mysticisme naturel, fécondé, éclairé par la science grecque, était devenu tout particulièrement propre à faire éclore une véritable religion d’une légende. Ce qui le montre bien, c’est que toute science, toute théorie, aussi bien que toute légende, tourne à la religion dans cette fermentation universelle des esprits. Qu’il y a-t-il d’analogue dans l’Orient actuel qui puisse permettre la moindre espérance aux rêveurs de religions futures?

Toute religion qui serait de nature à renouveler la face du monde civilisé devrait naître au centre même de la civilisation occidentale, et rayonner d’abord dans ses principaux, foyers pour se répandre de là sur tous les points de la civilisation universelle. Or là est précisément l’écueil. Ce centre et ces grands foyers ne semblent guère faits pour servir de berceau aux religions nouvelles, tant y règne l’esprit scientifique et critique, c’est-à-dire l’esprit le plus contraire à l’éclosion des légendes et des symboles. Là on analyse trop la conscience humaine pour que ses intuitions puissent être prises pour des inspirations ou des révélations; les lois de la nature sont, trop connues pour que le miracle s’introduise dans la description des phénomènes physiques. S’il parvient à se glisser dans le récit légendaire des masses, il en est bien vite chassé par la science, qui rectifie les écarts de l’imagination populaire. Dans cette société de savans, de penseurs, de critiques, d’érudits, la science est une œuvre d’observation, d’expérience, de méthode, de labeur,