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que le christianisme en arrive là pour être une religion vraiment positive, si l’on peut associer ces deux mots. Et pourtant la propriété de l’expression ne semble pas douteuse du moment qu’on réfléchit à l’analogie des méthodes employées par les deux écoles, l’une envers la philosophie, l’autre envers la religion. Toutes deux ne procèdent-elles point par voie d’élimination, pour arriver à un résultat analogue, en se fondant sur des considérations de même nature ? Toutes deux ne veulent-elles pas sauver la philosophie et la religion en les débarrassant de leur dogmatisme hypothétique ou purement spéculatif, et en les ramenant à des principes sûrs et pratiques? En cela, toutes deux ne sont-elles pas les filles de ce XIXe siècle, dont l’esprit critique et positif inspire et domine tout, non-seulement dans le monde savant, mais même dans le monde religieux?

Si l’on cherche l’origine première du christianisme libéral, il faut remonter jusqu’à la réforme elle-même, laquelle contient tous les germes de cette radicale révolution, liberté d’examen, subordination de la théologie à la morale, tendance pratique et sociale du christianisme; mais le principe immédiat du christianisme libéral, c’est l’unitarisme, c’est-à-dire cette doctrine qui, fidèle en cela à la grande pensée de la réforme, rejette le dogme de la trinité comme contraire à l’unité de Dieu. Le Fénelon américain, Channing, que l’on peut considérer comme le premier et le plus noble apôtre du christianisme libéral, est unitaire. Partant de cette thèse constamment soutenue par lui, que le christianisme est la religion de la raison, il repousse comme inintelligible le dogme des trois personnes en Dieu, tout en laissant percer un doute sur la difficulté de concilier la perfection du Christ avec son humanité. « Plus j’avance en âge, écrit-il à Mme Joanna Baillie, moins je m’inquiète d’assigner un rang précis à Jésus-Christ, La puissance du Christ est pour moi dans sa pureté sans tache, dans sa perfection morale. J’attache moins d’importance à ce rang, parce que j’ai appris que toutes les âmes sont de la même famille, et que la nature angélique et la nature humaine sont essentiellement une. Cette conviction fait que je ne suis point choqué par le système humanitaire. Il me semble cependant que ce système prête à de sérieuses objections. La perfection morale me paraît la grande distinction du Christ, et le sépare de tous les hommes. Cette distinction reste la même dans tous les systèmes, et elle est plus inexplicable dans le système humanitaire que dans tous les autres. » Si Channing n’avait pas été plutôt un moraliste qu’un théologien, il aurait vu que par cette concession il infirmait l’unitarisme ; mais la grande sagesse de Channing n’est pas la théologie, c’est la conscience, le sentiment moral qui en a fait un réformateur du dogme chrétien.