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Si Channing était plus théologien, on pourrait voir la négation de la vie future dans certaines phrases où il dit avoir appris que le ciel et l’enfer sont dans l’âme; mais il n’y a pas de bonne raison de croire qu’il ait poussé jusque-là son interprétation toute morale de la doctrine chrétienne. Il a voulu dire simplement que, dans ce monde comme dans l’autre, c’est l’âme seule qui est punie ou récompensée par la paix ou le remords, ne voyant ainsi qu’une pure métaphore dans les flammes de l’enfer. De même la divinité du Christ est comprise par Channing plutôt en philosophe qu’en croyant. « Entre ses diverses perfections, Jésus se distingua par une bienveillance si profonde, si invincible, que l’injure et l’outrage n’eurent aucune prise sur lui. Sa bonté pour les hommes ne fut point diminuée par le mal qu’ils lui faisaient. La seule prière qu’il fit entendre au milieu de ses souffrances fut pour ceux qui dans ce moment même assouvissaient sur lui leur vengeance, et, ce qu’il y a de plus remarquable, il ne pria pas seulement pour eux, mais avec une générosité et une candeur sans exemple il fit valoir en leur faveur la seule atténuation que leur conduite pût admettre. Or connaître Jésus-Christ, c’est comprendre cet attribut de son âme, c’est comprendre l’énergie avec laquelle il demeura fidèle à la vertu qu’il avait ordonnée, c’est voir dans l’âme de Jésus à ce moment-là une grandeur morale qui l’élevait au-dessus de tous ceux qui l’entouraient. Voilà ce qui s’appelle connaître le Christ! » Ici le théologien ne s’efface-t-il pas devant le moraliste au point que Channing puisse être considéré comme le père de la réforme qui réduit le christianisme à la morale évangélique ?

Parker est un esprit plus dogmatique et plus logique que Channing; c’est encore un théologien américain, c’est-à-dire essentiellement pratique, pour qui toute la doctrine se résume dans la pensée et l’action morales. Parker n’a conservé nulle foi au surnaturel, et l’affirmation d’un miracle lui semble aussi impossible que celle d’un triangle rond. Plein d’enthousiasme pour l’incomparable beauté morale du Christ, il trouve que c’est lui ôter toute valeur que d’assigner pour cause à une telle vertu une nature extra-humaine. Le principe qui sert de critérium à Parker pour apprécier toutes les doctrines religieuses, c’est la perfection absolue de Dieu. Pour lui, le fond résistant, permanent, sur lequel il faut jeter l’ancre sur cette mer tumultueuse d’opinions et de dogmes qui se heurtent, c’est qu’il n’est rien de meilleur pour un être quelconque que d’obéir à la loi de son être. Or être bon et faire le bien dans la foi au Père céleste, c’est le sentiment chrétien proprement dit, il n’est rien de supérieur à cela au ciel ni sur la terre, et c’est le fondement sur lequel il faut toujours édifier. Jésus-Christ est le plus parfait des hommes; on peut même dire qu’il est, par rapport à tous ceux qui sont con-