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avoir préparé la publication du douzième et dernier volume. Ceux qui ont assisté aux congrès des sciences sociales tenu à Amsterdam en 1864 se rappellent certainement la tête richement couronnée de cheveux blancs du président de la section des lettres, avec sa physionomie originale, carrément dessinée, mobile, joyeuse, facilement ironique, mais d’une ironie sans fiel et d’une vivacité toute juvénile encore.


II.

La réputation de van Lennep comme romancier national fut surtout fondée par la publication, commencée en 1838, de Nos Ancêtres (Onze Voorouders), série de nouvelles historiques échelonnées le long des principales périodes de l’histoire des Pays-Bas. Le roman historique avait alors la vogue. Walter Scott en avait fait en quelque sorte le roman proprement dit. Le goût de l’histoire était assez répandu déjà pour assurer des sympathies nombreuses à ce genre de composition, pas encore assez raffiné pour que les inévitables défauts du genre fussent clairement sentis. Le roman historique en effet se débat contre une difficulté insoluble. Il prétend intéresser des lecteurs modernes, non pas seulement comme l’histoire par le récit exact d’événemens et la description de coutumes antiques, mais de plus par la mise en jeu de caractères et de passions. Or, pour que le lecteur s’intéresse à ces caractères et à ces passions, il faut de toute nécessité que la distance entre lui et les personnages du roman soit aussi courte que possible, il faut qu’il se puisse reconnaître dans les sentimens qu’on déroule à ses yeux, il faut en un mot que les personnages soient des modernes habillés à l’antique. Il est presque impossible, même au plus habile romancier du monde, d’intéresser longtemps ses lecteurs en faisant parler et penser conformément à la stricte rigueur historique des hommes et des femmes d’un temps très éloigné du nôtre. En supposant qu’il fût capable, à force de savoir et de soin, de ne commettre aucun anachronisme moral dans une telle œuvre, son récit, ses dialogues, manqueraient tellement de spontanéité, dégénéreraient si bien en marqueterie, dénonceraient si fortement la tension et la gêne de la composition, que, curieux peut-être comme fruit de l’érudition, le roman serait dépourvu de la première vertu de ce genre de livres, qui est de ne pas ennuyer.

Il y a donc une contradiction interne dans l’idée même du roman historique, sauf un cas particulier qui sera envisagé plus loin et qui ne fait au surplus que confirmer cette règle. Toutefois, nous le répétons, le moment n’était pas encore venu où cette réflexion