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ce dernier roman comme dans les autres, l’a entraîné à pécher contre le bon goût en ce sens qu’il nous fait rester trop longtemps en compagnie nauséabonde. Il est des choses sur lesquelles il faut glisser sans appuyer, et la plume de van Lennep appuie fortement, toujours et partout ; cependant il n’est pas échappé à cette plume un seul mot indécent, et il n’est pas possible de mieux faire ressortir la nature hideuse du mal social que son sujet l’amenait à envisager en face. Il pouvait au surplus citer des romans de haute réputation dont les auteurs n’ont pas reculé devant cette extrémité ; mais je m’imagine que, sous les grandes colères déchaînées par le troisième volume, il y avait une mauvaise humeur engendrée par l’ouvrage tout entier, et qui n’avait pas encore trouvé de motif à explosion. Je vais m’expliquer.

Prise dans son ensemble, la société hollandaise est une des plus respectables qu’il y ait. Des principes d’une grande moralité la dominent ; l’esprit de famille, la régularité des habitudes, le goût du travail, le très grand nombre des mariages d’inclination, un vif sentiment de la dignité personnelle, entretiennent dans son sein le culte de ces principes, et en bannissent ces compromis sur lesquels, dans d’autres pays où les mœurs sont moins fortes, la morale admise jette un voile complaisant et transparent. La société hollandaise, qui lit et qui voyage, se compare aux autres avec une satisfaction réelle, et je suis bien loin de dire qu’elle ait tort ; mais enfin la perfection n’est point de ce monde, et l’on a toujours plus ou moins les défauts de ses qualités. Je ne reproche pas à cette société d’être un peu collet monté ; je remarque seulement que la satisfaction de soi-même engendre toujours une certaine ignorance naïve de ses défauts, et prépare les désillusions cruelles. De là à s’irriter contre les révélateurs importuns qui vous forcent à contempler les plaies existantes, la distance est minime. Pourtant cela ne prouve rien contre eux. Il n’y a pas de demi-monde en Hollande, pas de vice élégant et s’insinuant sous des formes décentes jusqu’au milieu du monde comme il faut, et c’est un très grand mérite ; mais le vice de bas étage, brutal, y existe comme ailleurs. Tout à côté d’une grande régularité de mœurs, on peut constater dans les villes des foyers d’infection qui n’ont rien à envier à ceux des autres pays. Ces paysans, ces ouvriers, d’ordinaire si paisibles, si laborieux, n’en fournissent pas moins le personnel de ces kermesses où une pesante gaîté s’associe à des débordemens d’une impudeur sauvage. En un mot, tout en constatant le bien, tout en reconnaissant même la supériorité morale de l’ensemble, l’équité comme la prudence conseillent de ne pas s’endormir dans une admiration béate. Autrement le réveil est désagréable, et M. van Lennep l’ap-