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dans l’espace et dans le temps. Unité de l’espèce humaine, son origine, ses variations sous l’influence du milieu, le centre ou les centres de création où elle a paru pour la première fois, ses rapports et ses différences avec les autres espèces animales, sa place dans l’univers, tels sont les principaux problèmes qu’elle rencontre et dont elle cherche la solution. On voit par là que, si l’anthropologie fait une large part, la plus large même à l’homme physique, elle ne néglige pas et ne doit pas négliger l’homme moral. Ce n’est pas sans doute celui que la psychologie considère, celui que chacun trouve en soi-même et analyse par l’observation intérieure; c’est l’homme du dehors, tel qu’il se manifeste dans des temps et dans des lieux divers: ce sont ses mœurs, ses croyances, ses instincts, ses sentimens, ses passions. Sans doute, cet homme extérieur n’est pas différent dans le fond de l’homme intérieur, mais les mêmes facultés peuvent se manifester de bien des manières, et ce sont ces manifestations qu’il importe de constater.

On a reproché à M. de Quatrefages d’avoir donné comme signes distinctifs de l’espèce humaine deux caractères empruntés à l’ordre moral, à savoir la moralité et la religion, et l’on s’est étonné qu’un naturaliste ait invoqué des faits psychologiques pour établir un règne nouveau qu’il appelle le règne humain. J’attache, pour ma part, une assez faible importance à la question de savoir si nous appartenons à un règne, à un embranchement, à une famille ou à un ordre. Aussi n’ai-je rien à dire sur cette théorie, que M. de Quatrefages a si fort à cœur; mais quant à l’objection qui lui est faite, je ne la comprends pas bien. Tout au plus les philosophes auraient-ils le droit de réclamer et de dire au savant naturaliste qu’en tirant sa caractéristique humaine de l’ordre moral il empiète sur leur droit; mais je ne m’explique pas une telle objection venant du camp opposé, car, si le moral relève du physique, pourquoi les caractères moraux ne serviraient-ils pas aussi bien que les caractères physiques à différencier les espèces? Et puis d’ailleurs quand donc s’habituera-t-on à ne voir dans les divisions de nos sciences que des cadres inventés pour la commodité de l’étude, mais qui ne doivent point nous dissimuler l’unité des êtres? L’homme, étant à la fois un être moral et physique, doit ê(re étudié à ce double point de vue.

Il y a principalement deux questions sur lesquelles l’anthropologie est appelée à nous donner de grandes lumières, la question religieuse et la question morale. L’école, depuis des siècles, prouve les vérités morales et religieuses par le consentement universel; mais ce consentement n’a jamais été constaté, vérifié d’une manière rigoureuse. C’est à l’anthropologie de nous dire ce qu’il en faut