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dont cet animal est le symbole. L’allégorie est partout au moyen âge, et, comme un vêtement, léger, couvre souvent d’abstractions apparentes l’idée qui passionnait les hommes. Quoi de plus naturel que ces images de lion et de taureau dans un temps où la force physique était presque tout ? Quoi de plus éloquent pour des hommes décidés à mourir autour des bannières où ces images étaient représentées ?

Au premier choc, le lion est fier et menaçant. Il compte ses nombreux soldats, il jure par son serment (le serment de son ordre) de venger ses échecs d’autrefois, il rugit, il se bat les flancs de sa queue redoutée. Le taureau n’a que des paroles d’une rage concentrée, paroles entrecoupées, haletantes de la soif du sang. Celui-ci ne peut d’abord entamer son adversaire ; mais quand le dévoûment d’Arnold Winkelried a fait une trouée dans la muraille de fer des chevaliers, le taureau suisse s’y précipite, il bondit au milieu des autres animaux héraldiques, foule aux pieds leurs enseignes, et enfonce ses cornes dans les flancs du lion. C’est alors que ce dernier commence à gémir, à miauler, dit la chanson ; force lui est de reculer. A son tour, le taureau vainqueur se bat les flancs ; puis, la tête en avant, il porte un tel coup à son ennemi qu’il le jette hors de son chemin, et le contraint de lui laisser en toute possession sa verte pâture. Il s’enorgueillit de sa victoire, et lance au lion blessé et mis en fuite l’invective et la raillerie. Tout n’est pas allégories dans le récit ; les faits réels, les noms, les hommes, sont mêlés à la peinture idéale sans transition, avec la brusquerie familière à la ballade.


« La troupe de la noblesse était serrée, les rangs épais et larges, fâcheuse rencontre pour nos braves compagnons ! Un certain Winkelried dit alors : — Çà ! vous en paierez la dette à ma femme et à mes enfans, et moi je vous tirerai à l’instant de ce mauvais pas !

« Chers et fidèles confédérés, je vous sacrifie ma vie ! Ils sont si bien enfermés que vous ne les pouvez briser ! .. Çà ! je ferai une brèche dans leurs rangs, si vous en rapportez aux miens la récompense !

« Là-dessus, d’un mouvement agile, il saisit une brassée de piques, il prend pour lui la mort et ouvre à ses amis un chemin. Çà ! n’était-ce pas un vrai courage de lion ? Sa mort héroïque fut le salut des quatre cantons forestiers.

« Et d’estoc et de taille, et de force et d’intrépidité, ils commencèrent à rompre les rangs de cette noblesse. Çà ! il se trouva donc un héros pour se dévouer à la mort ! Sans lui, c’en était fait encore de bien des hommes braves. »


Les louanges de Schwyz, d’Uri, d’Unterwalden et de Lucerne