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sortir de l’Inde, que l’âme humaine a eu la force de comprendre dans toute sa beauté le principe de la fraternité humaine : c’est la gloire du bouddhisme, comme du christianisme, d’avoir proclamé ce principe. On ne peut certainement pas affirmer que le second l’ait emprunté au premier; mais à coup sûr le premier ne le tient pas du second, puisqu’il lui est de beaucoup antérieur. On a pu sans doute, avec des motifs plausibles et spécieux, combattre, la métaphysique bouddhiste[1]; mais la morale du bouddhisme est d’une beauté incomparable, elle ne le cède à aucune autre, pas même à la morale chrétienne.

Eugène Burnouf a fait remarquer avec raison, dans son admirable Introduction à l’histoire du bouddhisme, que Çakia-Mouni, le fondateur de la religion bouddhique, n’a jamais eu la pensée d’attaquer l’institution politique des castes. Dans les légendes les plus anciennes, dans les livres canoniques du bouddhisme, qui reproduisent les premières prédications de Çakia-Mouni, on ne rencontre pas une seule objection contre les castes : il semble au contraire les considérer comme un fait établi qu’il ne songe point à modifier; mais, s’il ne proclame pas l’égalité sociale, il proclame ce qui en est le principe, l’égalité religieuse. Dans le brahmanisme, la dévotion et le salut étaient en quelque sorte le privilège des brahmanes. Çakia ouvrit le ciel à tous, «Ma loi, disait-il, est une loi de grâce pour tous. » Ainsi saint Paul et les apôtres n’ont jamais attaqué l’institution civile de l’esclavage, mais ils disaient : « Il n’y a plus de maîtres, il n’y a plus d’esclaves; il n’y a plus de riches, il n’y a plus de pauvres : nous sommes tous frères en Jésus-Christ. »

Le principe de l’égalité religieuse une fois proclamé, il n’était pas difficile d’en tirer le principe de l’égalité naturelle. Aussi voyons-nous plus tard la philosophie bouddhique attaquer l’institution des castes par des argumens que l’on pourrait croire empruntés à notre philosophie du XVIIIe siècle. « Il n’y a point, est-il dit dans une légende bouddhique, entre un brahmane et un homme des autres castes la différence qui existe entre la pierre et l’or, entre la lumière et les ténèbres. Le brahmane en effet n’est sorti ni de l’éther ni du vent, il n’a pas fendu la terre pour paraître au jour. Le brahmane est né d’une matrice de femme, tout comme le tchandala. Le brahmane, quand il est mort, est abandonné comme un objet vil et impur, il en est de lui comme des

  1. M. Barthélémy Saint-Hilaire, dans son livre sur le Bouddha, est très sévère contre le bouddhisme, qu’il proclame une religion athée. Ce n’est pas le lieu d’examiner ici la fameuse question du nirvana; qu’il nous suffise de dire que nous sommes sur ce point d’un avis absolument opposé à celui du savant critique malgré la haute autorité d’Eugène Burnouf.