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C’est moi! » Lorsque les deux yeux ont été arrachés, Kunala s’écrie : « L’œil de la chair vient de m’être enlevé, mais j’ai acquis les yeux parfaits de la sagesse. Si je suis déchu de la grandeur suprême, j’ai acquis la souveraineté de la loi! » Il apprend que c’est sa marâtre, non son père, qui lui a fait subir un si affreux supplice, et il n’a pour elle que des mots de pardon. « Puisse-t-elle conserver longtemps le bonheur, la vie et la puissance, la reine qui m’assure un si grand avantage! » Sa jeune femme, avertie de son supplice, vient au désespoir se jeter à ses pieds; il la console. « Fais trêve à tes larmes, ne te livre pas au chagrin. Chacun ici-bas recueille la récompense de ses actions. » Le roi, averti enfin de l’abus odieux que sa femme a fait du pouvoir qu’il lui a confié, veut la livrer au supplice. Kunala lui demande avec instance le pardon de la coupable, «Agis conformément à l’honneur, et ne tue pas une femme. Il n’y a pas de récompense supérieure à celle qui attend la bienveillance. La patience, seigneur, a été célébrée par le Negâta... O roi, je n’éprouve aucune douleur, et malgré ce traitement cruel mon cœur n’a que de la bienveillance pour celle qui m’a fait arracher les yeux. Puissent, au nom de la vérité de mes paroles, mes yeux redevenir tels qu’ils étaient auparavant! » A peine eut-il prononcé ces paroles, que ses yeux reprirent leur premier éclat. — Telle est cette belle légende qui nous donne en raccourci comme un tableau de toutes les vertus : la chasteté, la piété, la résignation, le mépris de la douleur, le pardon des offenses, et avec tout cela une grâce naïve et candide qui y ajoute un charme souverain. Est-il dans les Vies des saints un récit supérieur à celui-là?

On expliquera les analogies que nous venons de signaler entre la morale de l’Inde et notre propre morale par l’identité de race, car aujourd’hui on explique tout par les races, comme au XVIIIe siècle on expliquait tout par le climat ; mais cela prouverait déjà au moins un type de morale uniforme chez tous les descendans de cette race unique. Que dira-t-on, si l’on rencontre les mêmes analogies et peut-être de plus grandes encore chez des peuples de race absolument différente, qui, physiologiquement, philologiquement, ethnologiquement, ne se trouvent avoir aucunes racines communes, et qui spontanément, par le jeu naturel de la réflexion, se sont élevés à des principes semblables et presque dans les mêmes termes? Sous ce rapport, quoi de plus instructif et de plus admirable que la morale du plus grand sage de la Chine, l’un des plus grands sages de l’univers, de Confucius, et aussi du rénovateur de sa doctrine, le courageux et spirituel Mencius?

Confucius s’exprime sur la loi morale et ses caractères essentiels avec une élévation, une fermeté et une clarté que l’on ne trouve que