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Le premier archevêque serbe couronna le premier roi serbe. Cet archevêque et ce roi, saint Sava et Stefan Ier, étaient fils tous deux de Stefan Nemanja, chef de la dynastie qui a le plus fait pour la grandeur du pays[1]. Dès ce jour, l’église nationale et la dynastie nationale grandissant ensemble, la Serbie, grâce à une succession de chefs glorieux, présente pendant trois siècles un spectacle de force et de cohésion bien rare au milieu du bouleversement de l’Europe orientale. Il suffit de rappeler ce qu’elle était au moment des irruptions asiatiques. Les Russes étaient soumis aux Mongols, les Polonais se rapprochaient des nations de l’Occident pour échappera ce terrible ennemi, les Tchèques faisaient de même, et bientôt, sous leurs empereurs de la maison de Luxembourg, ils allaient prendre place au sein de la société romano-germanique ; seuls alors parmi tous les Slaves, les Serbes avaient maintenu leur indépendance et leurs traditions. Quand les Mongols pénétrèrent sur leur territoire, l’archevêque, c’est-à-dire le chef de la religion, on pourrait dire le patriarche ou primat de Serbie, appela toute la nation aux armes, invoquant ses prédécesseurs saint Sava et saint Arsène ; la Serbie se leva, et les barbares s’enfuirent.

Le xiie siècle avait vu grandir la dynastie de Nemanja et s’accroître le royaume de Serbie ; pendant tout le xiiie siècle, les luttes des Grecs et des Latins profitèrent à sa fortune. L’empire latin de Constantinople, en disparaissant, avait laissé de nouveaux germes de division dans ce pays déjà si tourmenté. La politique serbe ne négligea aucune occasion de s’affermir aux dépens de l’empire grec. On peut voir dans l’ouvrage de M. Kanitz tous les noms de ces princes qui, d’un côté s’unissant aux Bulgares, de l’autre établissant des relations avec Venise, préparaient le glorieux règne de Douschan[2]. C’est Radoslaw, c’est Wratislaw, ce sont les trois Ourosch. Au milieu des vicissitudes de la guerre et des tragédies de famille, la politique serbe marche à son but. On est encore en

  1. Un siècle avant Stefan Ier, un autre prince des Serbes, Michel (1050-1080), avait porté le titre de roi ; c’est celui que le pape Grégoire VII avait salué de ce nom. Toutefois il ne paraît pas que ce titre se soit maintenu alors, sans doute parce qu’il était d’origine étrangère. Il est certain du moins que Stefan, fils de Stefan Nemanja, consacré roi des Serbes par son frère saint Sava, s’appelle dans l’histoire de Serbie Stéfan Prvovjencani, Stefan le premier couronné (1195-1224). C’est ce même Stefan le premier couronné qui se fit moine avant de mourir, et qui aujourd’hui encore est invoqué par l’église serbe sous le nom de saint Siméon. Les deux frères, le premier archevêque et le premier roi, sont les deux grands saints de la Serbie.
  2. M. Kanitz, plus complet ici que M. Ranke, ne s’appuie pas seulement sur l’estimable histoire de l’Allemand Engel et les recherches profondes des deux créateurs de l’érudition slave, Dobrowski et Schafarik ; il résume les découvertes plus récentes des Allemands et des Russes, Hilferding, Dümmler, Zachariœ, Pichler.