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aujourd’hui dans cette pénible situation de prendre parti en face d’une exaltation populaire croissante. S’il ne devait résulter d’un refus de la Grèce qu’une rupture diplomatique, ce ne serait pas encore bien grave. On a vu plus d’une fois la paix se concilier avec une interruption de rapports diplomatiques entre deux pays, mais ce qui deviendrait plus sérieux, ce serait si la Turquie mettait à exécution la menace qu’elle a faite d’expulser les Hellènes séjournant dans l’empire. Il serait difficile alors que le conflit n’allât pas plus loin, et ce serait peut-être le commencement d’inévitables orages, même quand on parviendrait au premier moment à localiser une guerre de ce genre. Pourrait-on d’ailleurs la localiser ? Les cabinets européens n’ont pas tardé certainement à voir ces dangers, et, s’ils sont décidés à maintenir la paix en Occident, ce n’est pas pour la laisser troubler en Orient par des querelles qui n’ont rien de nouveau. Ils paraissent s’être mis d’accord pour agir tout à la fois à Constantinople et à Athènes. La Russie elle-même semble disposée à décourager les ardeurs belliqueuses de la Grèce et à lui conseiller la modération. Une rupture, il est vrai, serait imminente, à ne consulter que le délai rigoureux accordé par l’ultimatum de la Turquie et les dispositions de la Grèce ; mais ce délai peut être prolongé, s’il ne l’est déjà, et dans l’intervalle on amènera ces ennemis irréconciliables à se raccommoder jusqu’à ce qu’ils se brouillent de nouveau, car c’est l’éternelle histoire entre Grecs et Turcs. Pour nous, ce que nous voyons en ce moment dans tout cela, c’est l’intérêt de la paix européenne, qui a été assez puissant pour déterminer un changement de politique à Bucharest, et qui ne peut aller misérablement échouer à Athènes.

Quant à nos affaires intérieures, elles se résument plus que jamais dans une situation réellement étrange, que toutes les ardeurs, toutes les polémiques et les entraînemens ne font qu’obscurcir, au lieu de l’éclairer et de la simplifier. Nous en sommes toujours aux procès de presse, qui se multiplient, aux manifestations qu’on veut voir partout et aux victoires de l’ordre public comme celle du 3 décembre. Nous ne voudrions pas insister sur cette bizarre journée du 3 décembre. Nous supposons toujours les meilleures intentions, et nous admettons, si on veut, que le gouvernement, croyant à quelque tentative sérieuse, a mieux aimé prévenir une perturbation passagère qu’a voire la réprimer. Ne s’est-il pas toutefois bien singulièrement mépris en offrant aux yeux d’une ville demeurée en vérité fort paisible le spectacle de tout un appareil militaire contre un insaisissable fantôme ? Est-il bien certain d’avoir gagné ce jour-là une grande victoire ? Il a cru sans doute attester sa force ; il a prouvé qu’il était inquiet et déliant. Une chose est de nature à frapper en général, c’est ce penchant qu’ont les gouvernemens à se défier et à s’alarmer pour des faits auxquels ils donnent eux-mêmes de la gravité. Ils ne s’aperçoivent pas que le vrai sentiment de la force peut très bien