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C’est ce qui explique cette affluence qui se pressait l’autre jour dans le petit village d’Augerville. Les nuances d’opinions les plus diverses s’étaient donné rendez-vous autour de cette tombe prête à se fermer. Les cliens se confondaient avec les amis ; des ouvriers se mêlaient aux hommes d’état d’hier et aux hommes d’état de demain. On comptait des députations des barreaux de province, des barreaux d’Angleterre et de Belgique à côté des représentans du barreau de Paris. Seule, la magistrature française, à ce qu’il paraît, n’a pas cru nécessaire de rendre ce dernier devoir à celui qui avait si souvent illustré ses audiences, ou du moins, il faut être juste, il n’y avait que trois magistrats, un conseiller à la cour de cassation, M. Peyramont, un juge suppléant au tribunal de la Seine, M. Picot, et un honorable juge de paix de Paris, M. Charles Fagniez. Il faut nommer ces courtisans d’un grand mort. Qui pourra expliquer cette absence de la magistrature ? Qui pourra dire aussi pourquoi M. de Sacy s’est cru dans la nécessité de faire savoir que sa présence comme directeur de l’Académie était obligatoire, ce qui signifie sans doute qu’à défaut de cette obligation il n’aurait pas assisté aux obsèques de M. Berryer ? Quand donc en viendrons-nous à honorer simplement nos morts illustres sans nous demander s’ils sont de notre parti, ou s’ils ont mérité d’être sénateurs ? Parce que M. Berryer aurait souscrit au monument Baudin ou aurait de sa main défaillante envoyé un dernier témoignage de fidélité à M. le comte de Chambord, en est-il moins M. Berryer, une des lumières et une des forces de son temps ?

Après cela, nous le savons bien, ces grandes funérailles ont quelquefois leurs côtés mesquins ; elles ne sont pour les vivans que des occasions de se produire. Chacun a tenu à faire son discours sur la pelouse d’Augerville. Il n’y a que M. l’évêque d’Orléans qui, pour une difficulté d’étiquette, à ce qu’il paraît, n’a pu prononcer le sien ; mais il l’a fait imprimer. Si l’illustre mort n’a pas eu sa dernière recommandation, les vivans n’y perdent rien. On a le discours par omission de M. Dupanloup à côté du discours par obligation de M. de Sacy, et en définitive de tout cela ce que nous préférerions encore, ce que le glorieux mort eût préféré peut-être lui-même, c’est ce qu’ont dit avec une émotion simple ces ouvriers qui sont venus rappeler qu’ils avaient eu besoin de M. Berryer, qu’ils l’avaient trouvé cordial et dévoué sans complaisance, et qui portaient à sa tombe l’hommage d’une reconnaissance fidèle. Une pluie d’hiver en a fini de ces funérailles ; le mort est entré dans les sphères sereines où l’on ne dispute plus, où l’on ne fait plus de discours, et maintenant, sur cette tombe à peine scellée, voilà la politique qui reprend tous ses droits. Il s’agit de savoir qui remplacera M. Berryer comme député à Marseille. C’est une nouvelle campagne électorale qui est ouverte en attendant la grande lutte dont nous ne sommes plus séparés que par la courte session législative qui va s’ouvrir dans un mois : courte ses-