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sion, disons-nous, et qui peut avoir cependant une importance exceptionnelle, si elle est bien conduite, si tous les esprits libéraux savent s’entendre pour préciser le terrain du combat, pour planter un drapeau auquel le pays puisse se rallier au jour de la manifestation décisive. Il n’y a plus d’ici là que six mois à peine, et il est bien facile, à mesure que nous approchons du terme, de voir que ces élections de 1869 sont destinées de toute façon à marquer une phase nouvelle dans la vie de la France. Elles sont d’avance désignées pour être l’épreuve suprême de notre politique intérieure ; elles diront si nous entrons dans la voie d’un développement régulier de nos libertés tant disputées, ou si nous en sommes toujours à nous débattre entre ces fantômes de réactions et de révolutions qui nous assiègent alternativement.

L’Angleterre, quant à elle, vient de traverser cette crise électorale, et elle l’a traversée comme elle fait toujours, non sans agitation, mais sans péril, avec cette fermeté confiante des peuples que la liberté n’étonne ni n’embarrasse. Le caractère général de ces élections anglaises, on le connaît, c’est la pleine et décisive victoire du parti libéral. Le résultat pratique et inévitable a éclaté plus tôt qu’on ne le pensait. M. Disraeli, avec sa souplesse habituelle d’évolutions, a fait au public anglais la surprise de quitter le pouvoir sans attendre même la réunion du parlement et la petite session qui vient de s’ouvrir il y a quatre jours. Il a cédé brusquement la place à son triomphant adversaire, M. Gladstone. Il n’avait assurément rien négligé pour éviter une si grande déroute. Il avait fait, comme on dit, flèche de tout bois, et il était allé jusqu’à promettre plus qu’il ne pouvait tenir. Il avait laissé entrevoir aux électeurs anglais la solution définitive des différends anglo-américains, solution due à l’habileté de lord Stanley, et il se trouve qu’il n’en est rien. Le cabinet de Washington repousse les arrangemens négociés par son envoyé, M. Reverdy Johnson ; il n’accepte pas l’arbitrage du roi de Prusse, de sorte qu’on en revient au même point, c’est-à-dire qu’on a toujours sur les bras cette difficulté née de la faveur accordée dans les ports anglais aux navires corsaires pendant la guerre de la sécession. M. Disraeli avait fait luire aux yeux émerveillés de l’Angleterre la possibilité d’une médiation supérieure dans les complications du continent, médiation due toujours à l’habileté du cabinet tory, et il se trouve qu’il faisait de la diplomatie d’imagination, qu’il exagérait beaucoup tout au moins. Une médiation réelle n’a jamais existé et n’a jamais été proposée. L’Angleterre ne s’y est pas prise, et au fond M. Disraeli lui-même ne s’inquiète guère de ce qu’il a dit et de ce qu’il a promis il y a un mois, avant les élections. Il s’agissait alors d’avoir la victoire, il aurait promis bien d’autres choses. S’est-il fait illusion pendant le combat ? a-t-il cru lui-même au succès de ses paroles pour réchauffer le zèle de ses électeurs ? On dit que ses partisans ont espéré jusqu’au bout. Il faut lui rendre cette justice, qu’une fois la