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LA SERBIE AU XIXe SIÈCLE.


bouche sera discrète et qu’il n’en sortira que de douces paroles. La voilà mariée ; pendant une année encore, la jeune femme sera considérée par les parens comme une jeune fille. Elle garde son titre de fiancée. Avec celui-là même qu’elle peut appeler son maître, la pudeur orientale lui inspire une réserve presque farouche. En lisant ces détails, on se rappelle certaines figures de la Bible, certains traits de la poésie hellénique. Au bout de quelques années seulement, quand ses enfans auront grandi autour d’elle, la fiancée sera décidément admise parmi les membres de la communauté.

Le même sentiment qui unit chaque famille unit les habitans de chaque village. Le village est une famille composée de plusieurs branches. C’est le village qui choisit ses deux chefs, l’ancien et le seigneur, le kmète et le knèze. Chaque famille fête son saint, chaque village aussi fête son patron. Ce jour-là, les habitans se réunissent sur une hauteur voisine, les popes arrivent avec des croix, des bannières, et la procession se déroule à travers les champs, appelant les bénédictions de Dieu sur les travaux de la terre. Les Turcs ayant interdit de bâtir des églises dans les villages, ces cérémonies en plein air sont des moyens d’entretenir le culte national. Bien des souvenirs de l’ancienne religion slave s’y mêlent aux traditions et aux croyances chrétiennes. Cette vieille religion n’offrait pas de mythes profonds, de rêveries grandioses, comme celles de l’Inde ; elle reposait avant tout sur un sentiment vif et poétique des choses de la nature. Les alternatives des saisons, l’engourdissement et le réveil de la terre, la fête des morts, la fête de la vie et de l’amour, et tout cela sous des noms qui rappellent les divinités primitives, voilà ce qui se retrouvait dans les coutumes religieuses des Serbes. On comprend que le pope, même sans église, associé à ces fêtes, à ces cérémonies dont la nature est le temple, contribue à maintenir les traditions du pays. Il est pauvre, il est ignorant, il a plutôt l’air d’un paysan réduit à mendier que d’un représentant d’une grande doctrine ; il vit du moins avec les malheureux opprimés, et, baptisant les nouveau-nés, bénissant les époux, ensevelissant les morts, il récite pour la communauté les prières qui entretiennent l’espérance. M. Banke, tout en insistant beaucoup sur les fêtes poétiquement païennes où les Serbes invoquent le dieu de la pluie, le dieu du soleil, mêlés aux prophètes et aux saints, est obligé de reconnaître chez les disciples des popes un sentiment profond du Dieu annoncé par l’Évangile.

Et cependant, il faut le dire, les popes étaient trop ignorans, trop misérables pour avoir pu exercer parmi les Serbes l’action libératrice que signalent les historiens. Quand on parle de cette influence qui a tant contribué à entretenir la flamme du patriotisme, ce n’est