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française avec les richesses et les récoltes qu’ils voulaient mettre en sûreté. La veuve de Dost-Ali vint en grand appareil demander asile à Dumas, qui lui ouvrit les portes de la place et la reçut avec honneur. La femme de Chunder-Sahib prit le même chemin, et fut aussi bien accueillie. Dès que Ragodji eut appris que la colonie française recelait tant de butin, il bloqua Pondichéry en même temps qu’il faisait le siège de Trichinopoly et qu’il pillait toutes les villes sans défense. Trichinopoly ne tint pas longtemps : Chunder-Sahib, qui s’était enfermé dans cette forteresse, fut fait prisonnier et emmené par les Mahrattes à Sattara, leur capitale, en attendant une rançon ; Sabder-Ali, fils du malheureux Dost-Ali, fit la paix avec les vainqueurs moyennant le paiement de grosses sommes d’argent. Les Mahrattes, après avoir occupé le Carnatic pendant plus d’un an, retournèrent enfin dans leur pays. Pondichéry avait été tout ce temps le refuge des vaincus. Aussi Sabder-Ali se crut obligé à une marque spéciale de reconnaissance. Dès qu’il se revit en possession paisible du royaume paternel, il agrandit d’une façon notable le territoire de la compagnie française ; en même temps l’empereur mogol conférait à Dumas et à ses successeurs le titre de nahab, et lui donnait le commandement de 1,500 cavaliers équipés et entretenus aux frais de la cour de Delhi. Aucun Européen n’avait encore obtenu une telle faveur. Avec le rang de nabab, le gouverneur de la colonie française acquérait les prérogatives d’un souverain indigène vassal du Grand-Mogol. Dumas quittait Pondichéry au moment où ces honneurs venaient de lui être conférés. Il avait singulièrement accru la puissance de la colonie qu’il administrait depuis six ans. Il eut de plus la bonne fortune d’avoir pour successeur Dupleix, l’homme le plus capable de développer ces germes de prospérité.


II.

À qui étudie l’histoire du XVIIe siècle d’un point de vue général, Dupleix se présente comme un aventurier d’une hardiesse remarquable, mais parfois peu scrupuleux. Lorsqu’on examine ses actes de plus près, on trouve en lui l’étoffe d’un général, d’un diplomate, d’un administrateur. Doué de grands talens, placé sur un théâtre assez vaste pour user les forces du plus puissant génie, il ne lui a manqué que d’être soutenu par son pays et d’avoir des successeurs qui fussent dignes de lui. Né à Landrecies en 1697, il était fils d’un fermier-général et fut destiné dès l’enfance au commerce. Une campagne dans l’Atlantique et l’Océan indien lui inspira de bonne heure un ardent désir d’entrer au service de la