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tion. Le nabab Anwaroudin, qui s’était si complaisamment interposé deux ans plus tôt en faveur des Français, lorsque ceux-ci n’étaient pas en état de se défendre, prenait à cette heure, quoique avec plus de mollesse, les intérêts de la partie adverse. Le nabab aimait peu les Anglais, chez qui il ne rencontrait pas les qualités chevaleresques de nos compatriotes. Toutefois il lui déplut de laisser les Français se poser en triomphateurs sur un terrain qui dans ses idées était le domaine de leur maître à tous, le Grand-Mogol. Dupleix ne put l’apaiser qu’en promettant de lui livrer Madras ; mais l’habile administrateur ne fit cette promesse qu’en se réservant, par une restriction implicite, de détruire auparavant les fortifications qui rendaient la place redoutable. Dupleix faisait en ce moment un beau rêve : il voyait La Bourdonnaye se diriger avec sa flotte victorieuse vers l’embouchure de l’Hougly, ruiner les établissemens naissans de Calcutta. Les Anglais expulsés du Bengale aussi bien que de la côte de Coromandel, la compagnie française restait seule maîtresse du commerce de l’Inde. Si ce plan, dont l’exécution était alors possible, avait été suivi, qui sait si les progrès de la Grande-Bretagne en Asie n’eussent pas été à jamais enrayés ?

Par malheur, La Bourdonnaye n’avait ni tant d’ambition ni des vues si lointaines ; il songeait au profit actuel. Aussi Madras ne fut pas plus tôt en son pouvoir qu’il traita avec le gouverneur Morse de la rançon de cette ville. Le prix, à vrai dire, en valait la peine : il s’élevait à 1, 100, 000 pagodes, ce qui équivaut à environ 11 millions de francs. Dupleix protesta énergiquement contre cet acte de vente ; l’amiral n’en tint aucun compte. Dupleix, fort de l’avis conforme du conseil supérieur, envoya des employés civils à Madras en leur déléguant le pouvoir d’administrer cette conquête ; La Bourdonnaye mit aux arrêts les fonctionnaires de la compagnie. Qui pouvait trancher le conflit entre les deux commandans ? Il eût fallu quinze mois pour demander et recevoir les instructions du gouvernement français. Cependant le temps s’écoulait, et la mauvaise saison arrivait à grands pas. La Bourdonnaye n’ignorait pas que l’escadre ne pouvait sans danger prolonger son séjour sur la rade mal abritée de Madras. Il ne sut pas céder à temps. Le 15 octobre, un effroyable ouragan vint assaillir ses vaisseaux ; les uns, jetés à la côte, se perdirent corps et biens ; d’autres éprouvèrent les plus graves avaries ; 1, 200 hommes de ses équipages périrent dans cette tempête. Quinze jours après, il repartait à la hâte pour l’Île de France avec les débris d’une flotte qu’il avait eu tant de peine à organiser.

Il faut dire que M. Malleson explique la conduite de La Bourdonnaye en cette circonstance par un acte qui entacherait le nom de l’amiral d’une honte indélébile. Les partisans de Dupleix ne s’étaient