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Salabut-Jung, menacé d’un côté par les Mahrattes, de l’autre par des intrigans de sa propre famille, ne se serait pas maintenu longtemps sur le trône, s’il n’avait eu l’appui de Bussy. Les prétendans, nombreux comme dans tous les états musulmans, avaient des partisans jusque dans le palais et les conseils du vice-roi. Quant aux Mahrattes, leur chef, Badji-Rao, pouvait mettre en ligne une armée de 100,000 hommes, cavaliers pour la plupart, d’une bravoure à toute épreuve, d’une sobriété exemplaire, habitués à se mouvoir sans les énormes bagages dont les troupes mahométanes s’embarrassaient. Les bandes du Grand-Mogol et de ses vassaux, mal conduites et encore plus mal organisées, tremblaient d’avance à la pensée d’une rencontre avec ces terribles adversaires. Dès qu’il fut à Aurengabad, Bussy eut le talent de se faire respecter par tous les partis. Il n’était pas difficile de persuader au faible monarque du Deccan que les Français étaient ses plus fidèles défenseurs ; mais comment avec quelques centaines d’hommes influer d’une manière sérieuse sur les affaires du pays ? Bussy se fit livrer une forteresse qui commandait la ville ; il y caserna ses soldats et les soumit à la plus rigoureuse discipline, si bien que les riches Hindous, exposés aux ravages de la guerre, et le menu peuple, opprimé par les seigneurs, s’habituèrent vite à considérer ces Européens comme des protecteurs. On les aimait pour leur sagesse en même temps qu’on les redoutait à cause de leur énergie. Lorsque les Mahrattes menacèrent de trop près les possessions du vice-roi, Bussy porta la guerre, par une manœuvre hardie, au cœur des états de Badji-Rao ; grâce au tir perfectionné de l’artillerie française, il battit les cavaliers mahrattes et leur imposa une paix avantageuse. Après trois ans de séjour au centre du Deccan, il avait rendu de tels services que Salabut-Jung reconnaissant concédait à la compagnie un vaste territoire, la province des Circars, qui s’étend le long de la mer, de l’embouchure de la Cristnah aux frontières du Bengale. Les Français pouvaient se croire alors les maîtres de presque toute la péninsule, car tout leur obéissait ou subissait leur influence.

Cependant, depuis le départ de Bussy pour Aurengabad, les affaires étaient en mauvaise voie dans le Carnatic. Après le grand désastre où Nadir-Jung avait péri, Mahomed-Ali s’était réfugié dans la ville de Trichinopoly. On espéra quelque temps qu’il serait forcé de se rendre à merci, car il paraissait n’avoir plus ni soldats ni argent ; mais les Anglais, auxquels il eût été trop pénible de voir des partisans de la France occuper tous les trônes de l’Inde méridionale, se décidèrent bientôt à le soutenir. La guerre reprit donc avec un nouvel acharnement entre Chunder-Sahib et Mahomed-Ali, appuyés l’un par Dupleix, l’autre par le gouverneur de Madras. Le premier avait plus d’audace et d’intelligence, le second était mieux secondé.