Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 78.djvu/173

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

force. Bussy, récemment rappelé du Deccan, avait l’un des principaux commandemens de l’armée ; mais, mécontent d’avoir reçu l’ordre de quitter la cour de Salabut-Jung, où il jouait le premier rôle depuis dix ans, lié par d’anciennes et étroites relations avec les membres du conseil colonial, qui étaient déjà en état de sourde hostilité contre Lally, enveloppé comme eux tous dans le commun dédain que Lally manifestait pour les Franco-Indiens qui avaient su faire fortune et gérer avantageusement leurs affaires en même temps que celles de la compagnie, cet officier n’était pas en veine de prêter un entier concours au général en chef. D’un autre côté, d’Aché, dont l’escadre avait été endommagée dans deux ou trois rencontres, refusait avec obstination de soutenir l’armée de terre ; il osait à peine montrer son pavillon sur la côte de Coromandel. Aussi, après trois mois de siège. Madras tenait encore. À la première apparition d’une flotte anglaise, Lally se vit obligé de rétrograder sur Pondichéry ; cette ville, dégarnie de troupes, était en effet à la merci d’un coup de main.

Ainsi s’était passée la campagne de 1758-1759. À l’automne de 1759, comme la lutte allait reprendre, l’armée française, que les désertions, les maladies et les pertes sur les champs de bataille avaient déjà bien affaiblie, fut menacée d’un danger plus grave. L’esprit d’hostilité contre Lally dont le gouverneur et les conseillers de Pondichéry avaient donné l’exemple avait également pénétré les troupes de la compagnie et surtout les anciens bataillons franco-indiens, qui servaient avec les troupes du roi sous les ordres immédiats du général en chef. Le gros de nos forces était alors campé près de Wandewash, à moitié chemin entre Arcot et Pondichéry. Les soldats n’avaient rien reçu depuis dix mois. Le 17 octobre, ils se mutinèrent, sortirent du camp en prenant la direction de Madras et firent dire à leurs officiers qu’ils allaient passer à l’ennemi, si l’arriéré de solde ne leur était payé sans délai. Le trésor était vide, comme il était toujours arrivé depuis deux ans. Néanmoins on réunit par des souscriptions particulières une somme suffisante pour satisfaire les révoltés ; mais on comprend quels sentimens de défiance de tels incidens faisaient naître entre les généraux et les soldats. Le 21 janvier 1760, Lally fut attaqué dans son camp de Wandewash par des forces supérieures que commandait le colonel Coote. Les Français, battus et mis en déroute, ne se rallièrent que sous les murs de Pondichéry.

Bien qu’il n’y ait eu de chaque côté que 15 ou 1800 Européens en ligne, la bataille de Vandewash doit être comptée comme l’une des plus décisives du XVIIIe siècle ; elle a donné l’Inde aux Anglais et ruiné à jamais l’empire franco-indien, qui avait été le rêve de Dupleix et de Bussy. À la suite de cette fatale journée, les Français