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Magnifique aurait pu arrêter le mouvement, mais il l’exécute dans un premier moment de stupeur, car il vient d’avoir son contre-amiral, M. de Belle-Isle-Érard, mortellement blessé. Le fils et le neveu de Château-Regnault sont aussi, à l’avant-garde, les victimes de ce combat. Les Anglais, trop maltraités pour tirer avantage de cette fausse manœuvre, profitent avec joie du répit qu’elle leur donne, et d’un commun accord le feu cesse à l’avant-garde à cinq heures du soir. A sept heures, le comte de Toulouse forçait sir George Rooke à plier avec tout son corps de bataille.

A l’arrière-garde, le combat ne finit qu’à la nuit. Plusieurs vaisseaux français furent obligés de sortir de la ligne pour se réparer; mais M. de Langeron, sur le Soleil-Royal, força l’amiral Kallembourg d’abandonner son vaisseau l’Albemarle, qui sauta quelques momens après. De 800 hommes qui le montaient, l’amiral et 10 matelots seulement furent sauvés. Sur la flotte anglaise, les capitaines André Leake, John Cow et 687 hommes furent tués. Les capitaines Mings, Baker, Juniper et 1,632 hommes furent blessés. Les Hollandais eurent un capitaine et 400 hommes tués ou blessés. Outre les pertes du bailli de Lorraine, de Relingue, de Belle-Isle-Érard, des Château-Regnault, les Français eurent 1,500 hommes tués ou blessés.

La bataille avait duré dix heures. Elle était terminée, au moins pour ce jour-là. Le comte de Toulouse rassembla son conseil, et là, en présence de tous ses capitaines, se jeta dans les bras du comte d’Estrées et lui dit, en le remerciant de ses services, qu’il lui devait toute la gloire de cette journée. Il s’agit alors de savoir si l’on recommencerait le combat le lendemain. Chacun arrivait avec cette diversité de sentimens qui résulte d’une bataille indécise, les uns encore inquiets des dangers que la flotte avait courus, les autres fiers des succès qu’elle avait remportés. Cependant au milieu de l’incertitude générale des avis une pensée de prudence, presque de timidité, se faisait jour. C’était déjà dans notre marine un triste symptôme de cette démoralisation qui devait exercer une si fatale influence cent ans plus tard, et qui provenait à cette époque de dix années d’inaction presque totale, d’appauvrissement, de revers malheureusement trop certains et de succès toujours contestés. Nos marins n’avaient plus de confiance en eux, cette première garantie de la victoire. Le matin de la bataille de Malaga, chaque capitaine avait fait d’avance le sacrifice de sa vie et de ses espérances; aussi, surpris par l’issue de l’événement, plus heureuse qu’ils n’eussent osé la rêver, oubliant qu’on n’obtient le plus souvent les faveurs de la fortune qu’en les lui arrachant, tous hésitaient à la tenter davantage et désiraient en rester là. Le comte de Toulouse, dominé par sa modestie et son inexpérience, s’applaudissant d’être sorti avec