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On conçoit sans peine que la production salicole dépend de l’état du ciel; il lui faut avant tout la chaleur des rayons solaires. Par un temps brumeux, point de cristallisation. Les étés pluvieux sont pour les paludiers des saisons désastreuses. La récolte peut donc varier énormément d’une année à l’autre; mais l’expérience enseigne qu’en calculant les produits pour une période de dix ans on arrive à une moyenne annuelle de 1,000 kilogrammes de sel par œillet. Le travail commence dans le courant du mois de juin, et il finit au plus tard au mois d’octobre. En 1868, année très favorable, les opérations avaient pu s’ouvrir dès le 12 mai[1]. Le sel recueilli est porté chaque soir sur quelque point du talus aussi voisin que possible de la saline. On l’y entasse en mulons de forme conique, ressemblant assez bien de loin aux tentes d’un camp. Au salin de Guérande, le transport de la saline au mulon est exécuté par des femmes; autour de Bourgneuf, il est laissé aux hommes. Les femmes portent le sel sur la tête, dans de larges jattes en bois nommées geddes et contenant de 25 à 30 kilogrammes. Les hommes se servent de paniers d’osier qu’ils chargent sur l’épaule. Quand le sel doit être bientôt vendu, on se contente de recouvrir le mulon d’une mince enveloppe de terre. Si, comme il arrive parfois quand la récolte est bonne et les prix bas, des spéculateurs achètent de grandes masses de sel afin de le conserver plusieurs années, on forme des amas de 200,000, 300,000 kilogrammes, et on les abrite sous une épaisse couche de terre.

La propriété des marais salans est partout extrêmement divisée. On compte dans le salin de Guérande plus de 3,000 propriétaires ne possédant souvent que deux ou trois œillets disséminés entre plusieurs salines. Cette propriété est désormais fort peu recherchée. Les ventes sont presque impossibles. Le régime du travail constitue presque toujours une sorte d’association ou de métayage dont les fruits se divisent entre le paludier et le propriétaire. Leurs parts varient suivant les lieux. Dans le salin de Guérande, le premier reçoit communément le quart de la récolte; mais le propriétaire supporte les frais du portage des bords de l’œillet jusqu’au mulon. Les porteuses sont payées à raison de 1 franc par an et par œillet; elles profitent en outre du sel blanc formé à la surface. A Bourgneuf, l’usage attribue au paludier la moitié du produit et quelquefois plus, mais le portage s’opère à ses frais.

Dans l’un et l’autre cas, le gain du travailleur est bien minime. Les œillets de chaque propriétaire étant le plus souvent dispersés,

  1. Le salin de Guérande renferme 24,986 œillets répartis dans 800 salines, sans parler de 422 œillets plus rapprochés de Saint-Nazaire ; celui de Mesquer compte 7,193 œillets; celui de Bourgneuf à peu près autant.