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sentant, le jeune député Chusy. Deák vécut retiré à la campagne, approfondissant les importantes questions qui se débattaient alors à la diète, et suivant d’un œil attentif le mouvement qui emportait la Hongrie vers de si tragiques destinées.

Kossuth, sorti de prison, avait remplacé les correspondances manuscrites qui lui avaient valu sa condamnation par le Pesti Hirlap. C’était le premier journal hongrois dans le sens moderne. Il défendait les droits de la nation avec une vigueur et un courage qui valurent à son rédacteur une popularité inouie. Széchenyi, qui avait donné le branle à cette agitation, commença dès lors à s’en inquiéter. Dans son Kelet népe, il s’efforça de la modérer, et attaqua Kossuth avec tant de vivacité que le chef du parti conservateur, Aurel Dessewffy, se vit forcé de l’en blâmer. Le grand comte avait cru que, comme autrefois, le mouvement n’emporterait que les classes supérieures; mais Kossuth, par son journal et par ses discours enflammés, avait soulevé le pays entier, et, ainsi que Dessewffy le disait très bien à Széchenyi, on ne conduit pas en petit comité un pays où dans cinquante-deux comitats la population a le droit de se réunir quatre fois par an pour tout discuter. Pendant les années qui précédèrent la révolution de 1848, la scission entre les deux nuances du parti réformateur s’accentua de plus en plus. De quel côté se rangeait Deák? Il continuait à vivre dans la retraite. Il ne prononçait pas de discours et ne publiait aucun écrit; mais il demeurait fidèle aux principes qu’il avait défendus. Dans toutes les questions alors débattues, liberté de la presse, égalité des confessions devant la loi, droits électoraux à donner aux villes qui n’étaient presque pas représentées au sein de la diète, suppression des privilèges, il se prononçait en faveur des réformes les plus radicales. Toutefois il voulait y arriver par un progrès régulier, par la légalité; surtout il repoussait absolument les projets de séparation d’avec l’Autriche, qui commençaient à se faire jour. « Je suis, répétait-il souvent, un réformateur, non un révolutionnaire. » L’éminent publiciste, l’ami fidèle de Deák et son collaborateur dans ses plus importans travaux, le baron Eötvös, âgé seulement de trente ans et déjà célèbre par ses romans, ses poésies, ses études de droit public, exprimait dans ses écrits les idées qui leur étaient communes. Tout en défendant Kossuth contre les attaques souvent outrées de Széchenyi, il se séparait de l’éloquent agitateur au sujet de la réorganisation politique de la Hongrie. Kossuth, dans son opposition radicale au gouvernement autrichien, voulait étendre encore les attributions déjà si larges des comitats, de façon que, l’exercice de la souveraineté passant complètement en leurs mains, la Hongrie se serait transformée en une fédération démocratique com-