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comment empêcherait-on les habitans de mourir de faim? Mieux vaut encore la pénurie actuelle qu’un manque de travail absolu. Heureusement il est possible de découvrir des solutions moins radicales et qui ne suppriment pas à la fois le mal et le malade.

L’effort doit venir surtout de l’industrie privée, cela va sans dire. Elle n’est pas jusqu’à ce jour demeurée complètement inactive. Un incontestable mouvement d’idées s’est produit depuis vingt ans dans le sein de l’industrie salicole du bas de la Loire. Il s’est manifesté sous diverses formes, surtout par de nombreuses publications faites dans le pays et attestant des connaissances approfondies. Les réclamations formulées devant les pouvoirs publics ont constitué parfois de véritables traités sur la matière. A côté de ces travaux de plume, des innovations heureuses ont été introduites dans la culture et le traitement du sel. On a fondé des usines où on le blanchit, le lave et le raffine; ce sont là autant de perfectionnemens sans lesquels il serait déjà impossible d’exploiter les salines de Guérande. Pratiqué aujourd’hui dans quatre usines au Croisic et au Pouliguen, le raffinage y avait été importé, il y a une vingtaine d’années, par des industriels habiles et entreprenans, MM. Benoît frères, originaires du Jura. Quant au lavage, il date de plus loin ; mais il a reçu en 1852 dans l’usine de M. Maillard une transformation complète. Jusque-là on lavait le sel à la main dans des baquets; c’est tout au plus si une usine possédait un manège mû par un cheval. Un praticien fort ingénieux, M. Le Gall, introduisit alors le lavoir à hélice qu’il avait vu fonctionner pour le traitement du noir animal dans les raffineries de sucre de la Flandre. Ce n’est pas là sans doute le dernier mot des applications de la mécanique aux manipulations industrielles du sel. On arriverait sans trop de peine en persévérant dans cette voie à réduire beaucoup les frais de main-d’œuvre. Pour encourager les inventeurs, il faudrait d’abord que la récolte de la matière première dans les salines fût plus abondante et mieux dirigée. C’est d’améliorations de ce genre que cette industrie doit attendre une vigoureuse impulsion. L’obstacle le plus sérieux qui les empêche de se produire tient à l’extrême division de la propriété, à l’absence d’unité dans la direction des travaux; cela ralentit la besogne et paralyse l’esprit de progrès. Les inconvéniens de cette multitude d’exploitations distinctes ne sont pas moins visibles quand il est question de vendre les produits. Le commerce, concentré dans quelques mains, domine aisément le marché, et fait la loi à tous ces petits propriétaires.

Pour remédier à cette cause d’affaiblissement, on propose en ce moment même, à la saline de Guérande du moins, de former un syndicat chargé de gérer l’exploitation dans l’intérêt de tous. Un tel