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petite société. Défalcation faite du prix des appâts et de quelques menues dépenses, le produit se divise en trois parts égales dont deux reviennent à l’équipage, l’autre au propriétaire du bateau. On n’a donc fait à la Turballe que mettre au rang des coopérateurs les deux femmes qui préparent la gueldre, et dont la part égale celle d’un pêcheur.

Le salaire est peu en rapport avec les périls qu’affrontent ces intrépides marins, qui, sur leurs embarcations légères, exposés à de subits et terribles coups de vent, courent peut-être plus de risques le long de ces côtes que les baleiniers dans les mers australes. Il est en moyenne d’environ 300 francs pour sept mois de navigation. Comptez en outre 80 francs, et c’est beaucoup, pour la pêche durant l’hiver, jusqu’à présent fort mal organisée, et vous aurez la maigre somme sur laquelle doit vivre le plus souvent au Croisic la famille du pêcheur. A la Turballe, deux circonstances améliorent un peu la situation : les femmes trouvent plus fréquemment à s’employer dans les confiseries de sardines, qui sont là plus nombreuses qu’au Croisic, en outre les familles ont presque toutes un morceau de terre à cultiver, ce qui manque absolument de l’autre côté de la rade, et ce qui serait d’ailleurs en dehors des goûts des Croisicais. Si la part du travail est faible, ce n’est pas que celle du capital soit trop forte. Le tiers net revenant au bateau, déduction faite des prélèvemens qu’il subit, monte au plus à 650 ou 700 francs, sur lesquels il faut prendre les frais de l’entretien annuel de la barque et des filets, l’intérêt et l’amortissement du prix d’achat. La faiblesse de ces résultats tient surtout à la défectueuse organisation de la pêche durant l’hiver, au mauvais état des ports d’armement et à la cherté de la rogue.

Le système suivi dans le commerce même de la sardine n’est pas non plus à l’abri de toute critique. Comme on est forcé de vendre les produits aussitôt que la barque arrive au port, les prix changent presque chaque jour. De 2 fr. 50 c. le mille aujourd’hui, ils pourront monter demain à 25 ou 30 fr. et même plus haut. L’usage traditionnel est d’ailleurs pour un millier de sardines d’en donner 1,260, qui se comptent avec une extrême rapidité par six à la fois. Les achats ont lieu soit pour la consommation immédiate, soit pour les confiseries. Le petit cabotage, les chemins de fer, les voitures, les chevaux, les mules, les porteurs à pied, sont utilisés selon le rayon à parcourir pour la prompte expédition d’un produit qui ne saurait attendre au-delà de 10 ou 12 heures. La vente se fait littéralement à la course jusqu’à 12 et 15 kilomètres de distance. Les revendeurs, avec leur gedde de bois sur la tête, ne prennent pas le temps de respirer. Les chemins de fer ont naturellement fort étendu le cercle