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à franchir pour s’y rendre, de la dispersion des villages sur un territoire étendu et de la configuration d’ordinaire si fâcheuse des communes elles-mêmes. Pour les familles de pêcheurs, les nécessités du travail à la mer éloignent trop vite les enfans de l’étude. Dès que les jeunes garçons commencent à grandir, une seule pensée les anime, une pensée que leur famille partage, que la situation suggère, celle de s’embarquer au plus vite pour gagner leur vie. A voir leur impatience, on dirait que la plante des pieds leur brûle sur le sol. Ils se sont de bonne heure familiarisés avec le spectacle des tempêtes, et n’en sont pas effrayés; puis la mer n’a-t-elle pas ce qui tente le plus le cœur de l’homme, l’immensité et l’inconnu? Les écoles se voient donc désertées de bonne heure. On a même été obligé de hâter ici l’époque de la première communion. Elle se fait à onze ans, afin de permettre le départ des enfans dès la douzième année. Pour les jeunes filles, ces motifs d’interrompre les études n’existent pas, il est vrai; cependant l’influence de l’exemple réagit sur l’emploi de leur temps. Il n’y aurait en pareil cas que l’établissement d’écoles d’adultes convenablement appropriées au besoin local pour entretenir le germe primitif et en assurer les fruits. C’est du reste un trait à signaler ici que l’aptitude assez générale pour les travaux intellectuels. Le voisinage de l’Océan, les perspectives qu’il ouvre sur des pays lointains, les relations qu’il facilite au dehors, ont servi à propager une foule de notions utiles peu communes dans d’autres contrées, notions de hasard, mais qui stimulent le désir d’en acquérir d’autres. La situation éveille en outre sur les côtes un besoin d’instruction spéciale. Tous les jours, on voit sortir des diverses couches de la population des jeunes gens se livrant à des études qui leur permettent de se faire recevoir maîtres au cabotage ou capitaines au long cours.

Cette naturelle disposition des esprits prête aux relations privées un attrait qu’entretiennent encore la bonne humeur et la franchise ordinaire des habitans. De ces dernières qualités résulte une solidité précieuse dans les rapports de la vie courante. Ces dispositions n’ont pas été entamées par les changemens économiques réalisés sous nos yeux; les caractères restent en général ce qu’ils étaient, ouverts et accueillans. Un esprit de mutuelle confiance, dont l’honnêteté avait dès longtemps formé la base, peut passer à juste titre pour un des signes de la physionomie de ces populations. Çà et là sans doute l’insuffisance du gain annuel dans les marais salans a porté, paraît-il, quelque atteinte à la probité traditionnelle. On a mis sous nos yeux certains comptes où après les prélèvemens ordinaires, après la réparation et l’entretien des marais, le propriétaire se trouvait en définitive redevable envers son subordonné. Ce fait lui-même ne serait pas toujours un indice de fraude,