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bien d’autres, et nous devrions au moins garder la bonne contenance des conscrits qui ne saluent plus les boulets à leur seconde bataille. Nullement, nous ne nous accoutumons pas à cette poursuite dans le vague et dans l’inconnu à travers toutes ces fusées qui s’appellent les mauvais bruits. Nous perdons patience en face d’une situation dont nous entrevoyons la gravité sans en connaître d’une façon précise les conditions, et qui ne se manifeste que par des recrudescences périodiques d’incertitude. Mais aussi que fait-on pour remédier à ces dispositions maladives, pour rassurer ou pour conduire l’opinion ? On ne fait rien, ou ce qu’on fait ne répond pas au mal réel, et n’a le plus souvent qu’un résultat absolument opposé à celui qu’on attendait. Quand on ne prononce pas des discours énigmatiques, on garde un silence qui provoque plus d’interprétations encore, et ce qu’on ne veut ni dire ni taire, on le met dans une carte de géographie qui ne laissera certainement pas échapper le grand secret.

Au premier coup d’œil sans doute, la situation de l’Europe, si tendue qu’elle soit toujours, ne s’est point aggravée dans ces derniers temps. Les relations apparentes des gouvernemens n’ont pas changé sensiblement de caractère, et même un instant l’opinion avait été agréablement surprise par le bruit d’une diminution des forces militaires de la Prusse et de la France. Depuis quelques jours, on n’en est plus là, on revient à toutes ces perspectives d’un conflit possible. Encore une fois un souffle est passé dans l’air, réveillant le sentiment de la gravité des choses, et c’est tout juste à ce moment que vient de paraître cette carte d’une origine mystérieuse qui a la prétention d’illustrer une politique en représentant dans une image parlante la situation stratégique de la France à trois époques, après 1815, après 1830 et aujourd’hui. On avait annoncé l’apparition de la carte ou des trois cartes en une seule, sans oublier les légendes, comme un événement destiné à rasséréner l’atmosphère et à remettre le calme dans les esprits par l’image rassurante de nos prospérités, si bien qu’on se pressait pour avoir la révélation, l’évangile géographique. L’invention n’est pas heureuse. C’est une puérilité en couleurs, un jeu inoffensif dont pourront s’amuser ce premier de l’an les enfans qui ont des dispositions à la stratégie, pour peu qu’on songe à piquer ces frontières si ingénieusement décrites de petits soldats et de petits drapeaux afin de rendre l’image plus jolie. On aura soin surtout de varier les uniformes pour compléter l’effet. — Sérieusement qu’a-t-on voulu faire par cette démonstration politico-géographique en trois cartes ? Quelle impression a-t-on cru laisser dans les esprits qui ne se paient ni de mots ni d’images ? A-t-on voulu se persuader à soi-même et persuader aux autres qu’en effet la situation de la France s’est trouvée singulièrement améliorée par la transformation récente de l’Europe centrale, par les événemens qui ont fait il y a deux ans de la Prusse la puissance maî-