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deur d’Angleterre à Madrid, M. Bulwer, qui était en 1846 si vivement opposé au mariage du duc de Montpensier avec l’infante Luisa Fernanda parce qu’il voyait en lui un futur roi d’Espagne. Sur tous ces points d’ailleurs, les chefs de la révolution ne s’expliquent point, ils ne laissent pas entrevoir leurs préférences. Ils ne disent rien, eux, pas plus que M. Olozaga lui-même, et ils ne disent rien peut-être parce qu’ils ne savent absolument rien, parce qu’ils partagent l’incertitude de tout le monde, parce qu’après tout il est plus facile de renverser une royauté que d’en élever une nouvelle.

Au milieu de tout cela cependant, un certain ordre s’établit au-delà des Pyrénées. On revient à toutes les apparences de la vie régulière. Les juntes révolutionnaires qui s’étaient formées dans les provinces se dissolvent l’une après l’autre, suivant en cela l’exemple de celle de Madrid. La plus récalcitrante de toutes, la junte de Barcelone, a fini elle-même par abdiquer. Il n’y a plus aujourd’hui cette multitude de petites souverainetés s’exerçant avec une complète indépendance dans leur sphère locale sans s’informer de ce qui se faisait ailleurs. Le gouvernement provisoire établi à Madrid sous la forme d’un ministère présidé par le général Serrano est à peu près universellement reconnu. Il administre autant qu’il peut, il fait des lois autant qu’il veut, il nomme des généraux, il change des employés, il adresse des manifestes à la nation espagnole, et notifie son avènement à l’Europe par une circulaire habilement conçue du nouveau ministre des affaires étrangères, M. Lorenzana. Au fond, à travers les incohérences qui l’assiègent, il représente évidemment une honorable pensée de conciliation, une politique assez modérée pour que la France, l’Angleterre, l’Italie, le Portugal, aient cru pouvoir entrer avec lui en relations régulières, et ce qu’il y a de mieux, c’est que le nonce du pape lui-même, sans se laisser émouvoir par bien des mesures qui touchent l’église, comme les suppressions de couvens et d’ordres religieux, n’a pas été le dernier à nouer des rapports avec le nouveau ministre des affaires étrangères. Ainsi, à peu près obéi à l’intérieur, reconnu par quelques-unes des principales puissances dès aujourd’hui et probablement demain par les autres, le gouvernement provisoire de Madrid a tous les dehors d’un pouvoir régulier en attendant la réunion des certes constituantes, qui ne sont pas encore convoquées, et l’Espagne jouit de l’ordre au sein de la révolution la plus complète qu’elle ait traversée depuis longtemps : elle a la tranquillité matérielle, elle a échappé jusqu’ici à la guerre civile ; mais il serait puéril de se fier entièrement à ce calme extérieur.

Ce qui existe au-delà des Pyrénées est un certain état maintenu par une sorte de neutralisation de partis, par la réserve que tout le monde s’impose pour ne pas glisser dans quelque effroyable crise, par une trêve volontairement consentie. Sous cette surface paisible, il y a des symp-