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utiles autant que flatteuses, une sympathie attentive pour sa jeunesse et pour son talent, des encouragemens à se produire ; il y portait de son côté une instruction sérieuse, « le goût des lettres, des plaisirs nobles et de la bonne compagnie, » selon son expression, des idées qui se ressentaient de sa forte éducation protestante et qui étonnaient quelquefois, mais qui intéressaient comme une nouveauté. Dans ces camps de demi-opposition mondaine où l’esprit était en honneur et où l’on parlait librement de tout excepté de politique, M. Guizot était la jeunesse et l’avenir, non pas la jeunesse turbulente et frivole, mais la jeunesse grave, méditative et studieuse. Il apparaît assez comme le frère aîné d’une génération qui naissait à peine, qui grandissait obscurément sans se douter qu’elle serait appelée un jour à renouer les traditions libérales de la révolution sur les ruines de ce glorieux despotisme dont personne alors n’eût osé prévoir la fin.

C’est là en effet le caractère de M. Guizot dès ses premiers pas. Ce monde ou ces mondes de l’empire qui se déploient autour de lui, il les traverse sans se confondre avec eux. Entre ces sociétés intelligentes qui l’accueillaient, qui lui ouvraient la carrière, et la société officielle où ses protecteurs voulaient un moment le faire entrer comme auditeur au conseil d’état, il a son originalité, et cette originalité n’est pas précisément dans les quelques écrits par lesquels il commençait à appeler sur lui l’attention, les Annales d’éducation, les notes sur l’Histoire de la décadence de l’empire romain, de Gibbon, les articles mis au Publiciste de M. Suard ou le compte-rendu d’une exposition de peinture; l’originalité de M. Guizot est dans son être moral, dans cette indépendance d’un esprit qui se cherche, qui reste lui-même au milieu de toutes les influences qui l’environnent et le pressent. Remarquez bien les traits originaux, distinctifs, de cette nature formée en quelque sorte au confluent d’une société expirante et d’une société nouvelle.

Par ses relations premières, M. Guizot était d’un monde tout plein de l’esprit et des idées du XVIIIe siècle; il n’avait, lui, ni ces idées, ni ce culte du dernier siècle : il avait puisé dans sa sévère éducation genevoise des traditions chrétiennes, des croyances précises et une précoce austérité de pensée qui l’éloignaient des doctrines philosophiques du temps. Son intelligence, formée dans une tout autre atmosphère, se nourrissait de littérature et de philosophie allemandes, de Kant, de Herder, de Schiller, bien plus que de Condillac, de l’Encyclopédie ou de Voltaire. M. Guizot a toujours eu pour le XVIIIe siècle des mouvemens d’équité superbe, d’impartiales condescendances; il ne l’a jamais goûté sérieusement, de même qu’il n’en a jamais senti les vives et subtiles nuances. C’était un